Tunisie, le président Beji instrumentalise l’égalité homme/femme

27/11/2018 – Nicolas Beau

Le président tunisien cherche à faire adopter un projet de loi en faveur de l’égalité hommes/femmes en matière d’héritage mais reçoit avec tous les honneurs Mohamed Ben Salman, le prince héritier d’Arabie Saoudite.

Le président du bloc parlementaire Ennahdha à l’ARP (Assemblée tunisienne), Noureddine Bhiri, un ancien ministre de la Justice et l’intermédiaire discret et trouble sous le règne de Ben Ali entre les islamistes réprimés et le pouvoir répressif, a annoncé, en marge d’une réunion tenue ce dimanche 25 novembre à Kairouan, que l’initiative lancée par Béji Caïed Essebsi, concernant l’égalité des sexes en matière d’héritage, est contraire à toutes les traditions tunisiennes, Il a ajouté que la proposition n’est qu’une « manœuvre de diversion ».

Il s’agit, a-t-il déclaré, de détourner l’attention des Tunisiens de leurs vrais problèmes et de les plonger dans des luttes religieuses. Peut-on lui donner tort?

Une manoeuvre politicienne

Même si le signataire de cette libre opinion est, à titre personnel, totalement favorable à la réforme proposée, ce débat n’est guère la priorité dans une Tunisie identitaire et islamisée qui n’est pas mure pour un tel projet. Le président tunisien sait parfaitement qu’une majorité de députés reste hostile à sa proposition. Le projet était d’ailleurs enterré à l’Assemblée depuis plusieurs mois au sein d’une commission improbable. D’ailleurs, depuis que le bon président Beji a eu accès au pouvoir, soit comme Premier ministre  en mars 2011 ou soit comme Président en 2015, il n’était pas connu pour se soucier particulièrement des questions d’héritage, assez roué pour savoir que la question n’était pas populaire chez une majorité de Tunisiens.

S’i le vieux président tunisien relance aujourd’hui le débat, ce n’est donc pas dans l’espoir que la loi sera adoptée, mais pour de tout autres raisons. Apparatchik islamiste à la réputation trouble, monsieur Bhiri pointe avec justesse les arrières pensées de la présidence tunisiennne.

MBS reçu comme un prince

L’objectif du président tunisien est en effet de semer la zizanie au sein de la majorité parlementaire qui soutient l’actuel Premier ministre, Youssef Chahed, dont il souhaite ardemment le départ. Le chef du gouvernement est soutenu en effet à l’ARP par une alliance hétéroclite, composée de modernistes pour un tiers, et par des islamistes pour les deux tiers. La discussion du projet sur l’héritage ne peut que jeter de l’huile sur le feu entre les deux composantes de la majorité parlementaire de Youssef Chahed.

Cette manoeuvre est d’autant plus grossière que dans le même temps, le président tunisien s’apprête, le 27 novembre, à recevoir l’héritier du Royaume séoudien, le désormais célèbre Mohamed Ben Salman, dit MBS, en le dédouanant ainsi de l’assassinat odieux du journaliste opposant dans l’enceinte d’un consulat séoudien en Turquie. Beji va l’accueillir avec les honneurs,  malgré une opposition résolue de la société civile tunisienne qui se veut l’héritière du printemps arabe. Il le fera avec cynisme, malgré l’idéologie wahabite que cherche à imposer une Arabie Saoudite marquée par une vison médiévale de l’Islam (égalité hommes/femmes, héritage, homosexualité, châtiments corporels, peine de mort…). Autant de traditions réactionnaires que Beji Caïd Essebsi prétend combattre en interne. Sa seule préoccupation est d’affaiblir les islamistes tunisiens, ses alliés d’hier devenus ses adversaires. Ils sont soutenus par le Qatar, ce pays que l’Arabie Séoudite combattent? Beji déroule le tapis rouge sous les babouches du prince héritier séoudien.

Les positions contradictoires de Beji ne sont pas à l’honneur de ce chef d’état sans honneurni morale, qui restera comme le principal responsable de l’impasse politique, économique et sécuritaire où se trouve la Tunisie aujourd’hui