Les révélations de Mondafrique sur la stratégie de Gaïd Salah

17/08/2019 – Nicolas Beau

Mondafrique a réalisé un entretien avec un haut gradé, aujourd’hui à la retraite, mais resté très proche de l’entourage de Gaïd Salah, le patron de l’armée algérienne. Il en ressort que l’institution militaire algérienne n’avance pas à l’aveugle, mais selon un projet et un calendrier parfaitement identifiés et assumés.

« LE HIRAK EST UNE FIERTE POUR L’ALGERIE »

Mondafrique. On assiste à un « turn  over’ impressionnant au sein de l’encadrement de l’armée algérienne où de nouvelles nominations sont régulièrement annoncées. Quelles sont les raisons de ces changements incessants qui peuvent apparait comme des signes de faiblesse? Pourquoi ce renouvellement brutal de génération qui voit de simples colonels accéder à des postes de première importance?

En 2007, l’actuel chef de l’État Major, Gaïd Salah, avait émis le souhait de restructurer profondément les services de renseignement et surtout de donner un coup d’accélérateur en faveur du renouvellement des  officiers supérieurs, et cela à tous les niveaux de l’institution militaire. Hélas, le président Bouteflika n’avait pas donné suite à ces projets pour des raisons « politiques », qui tenaient à la cohabitation de son régime avec les hommes de l’ex DRS (services secrets algériens) .

C’est seulement en 2013 que le chef d’État Major a réussi à imposer une professionnalisation accrue. Il a surtout convaincu la Présidence de la nécessité de revoir l’organisation du DRS et de l’urgence de sa restructuration. Il fallait que cessent la tutelle des services algériens sur la société et leur intrusion dans les affaires politiques. Ces services doivent se consacrer à leur mission qui est celle du renseignement. Il leur faut lutter contre les réseaux terroristes et préserver le pays des dangers qui nous guettent. Depuis, les observateurs neutres ont relevé les succès enregistrés dans la lutte antiterroriste.

Mondafrique. Dans quel état se trouvent désormais les réseaux du DRS, qui a officiellement disparu en 2015? La détention du général Toufik qui en fut le chef incontesté pendant un quart de siècle, signe-t-elle la fin véritable de son influence?

 L’ancien chef du DRS, le général Toufik, qui a érigé un État à l’intérieur de l’État, a transformé un service qui devait être au service de la nation en un instrument de contrôle du pays  et surtout en un outil de chantage sur les cadres de l’État. Il a ainsi installé ses pions dans la plupart des institutions étatiques.

L’ex DRS qui regroupait des compétences et des spécialistes dans diverses disciplines, est devenu un tremplin pour des opportunistes, doublés d’ affairistes.

Sous l’égide du général Tartag le successeur de Toufik en 2015, l’ex DRS est passé sous la tutelle de la présidence. Le frère du président, Saïd Bouteflika, qui exerçait officiellement la fonction de conseiller à la Présidence mais en était l’âme damnée, a instrumentalisé les services pour le compte d’une bande qui s’est accaparé les deniers de l’État.

Aujourd’hui les réseaux qui gravitent autour des deux chefs déchus et emprisonnés pour complot contre l’autorité de l’État, tentent de manipuler l’opinion publique en transformant les revendications légitimes du Hirak  en slogans hostiles à l’institutions militaires. C’est cette opération de diversion que les observateur ne voient pas ou ne veulent pas voir compte tenu de liens que l’ex DRS avait créé dans de nombreuses capitales étrangères, notamment à Paris.

Mondafrique. Vous parlez des « revendications légitimes » des manifestants, dont beaucoup ont pourtant le sentiment que Gaïd Salah et les siens restent sourds à leurs exigences et veulent imposer leurs diktats

Pas du tout, l’union entre l’institution militaire et le peuple algérien reste très forte. Ce sont les militaires qui ont imposé leur veto à la volonté des anciens dirigeants du pays d’imposer l’état d’urgence ou même l’état d’exception. Simplement, Gaïd Salah a mis en garde contre les « aventuriers ». A savoir certains manipulateurs qui ont entamé une compagne de désinformation pour faire croire que le discours du chef de l’État major concerne les manifestants pacifiques , alors qu’il ,e vise que des forces obscures qui cherchaient à semer le désordre et à justifier une réponse autoritaire aux conséquences désastreuses.

Mondafrique. Depuis quand Gaïd Salah était informé des projets funestes de la Présidence algérienne alliée au général Toufik?

L’État Major était informé de la situation depuis que la décision de faire briguer au président malade un cinquième mandat avait été prise. Les manigances et les conciliabules de certains responsables ou anciens responsables étaient connus.

Mondafrique. Pourquoi l’armée n’a-t-elle pas opposé son veto à ce projet jugé calamiteux du cinquième mandat?

L’armée en institution régalienne et républicaine a pris l’engagement publique depuis la nomination de l’actuel chef de L’État major en 2004 de ne pas s’impliquer dans le jeu politique, mais de se consacrer totalement à sa mission définie par la constitution.

L’institution militaire a retenu les leçons de l’Histoire. Il faut se souvenir des conséquences désastreuses de la politique de l’ancien ministre la Défense, le général Khaled Nezzar, qui avait utilisé la force brutale contre des jeunes manifestants en octobre 1988. L’implication directe des militaires dans l’arrêt du processus électoral a laissé des traces. Il n’est plus question de commettre à nouveau de pareilles erreurs. 

Mondafrique. Quel jeu politique joue aujourd’hui le général Nezzar? Dans quelle mesure est-il coupable d’avoir couvert les malversations financières de son clan?

Le général Nezzar qui avait la liberté totale de s’exprimer à partir de son pays après le départ de Bouteflika ne s’en est pas privé. L’institution militaire à ce stade lui a laissé toute liberté, y compris sur le site « Algérie Patriotique » qu’il contrôle avec son fils. Lorsqu’il a compris que les investigations sur ses affaires se faisaient plus menaçantes, il a préféré, ainsi que son fils, quitter le territoire sans que personne là encore ne l’en empêche. Les enquêteurs en effet n’avaient pas mis encore la main sur des éléments qui auraient donné aux juges la possibilité de lui interdire la sortie du territoire.

Depuis, les preuves sont là de son implication dans le complot contre l’autorité de l’État même s’il prétend avoir conseillé à Saïd Bouteflika de ne pas toucher à la cohésion de l’armée. Comment le croire? Son implication directe dans la déstabilisation de nos institutions et ses frasques financières sont désormais avérées.

Mondafrique. Passons au volet politique, si vous voulez bien. On a l’impression que la situation su ce plan là avance peu et que les exigences populaires ne sont pas prises en compte. Il est vrai que la faible structuration des mobilisations rend difficile la recherche d’interlocuteurs valables. Comment évaluez vous la situation?

La classe politique algérienne a été surprise par l’ampleur de la mobilisation populaire, mais elle n’arrive pas à s’imposer comme une émanation de ce mouvement, Les manifestants qui revendiquent le changement ne son pas sur la même longueur d’onde qu’elle. Le règne de Bouteflika a réussi à disqualifier l’ensemble des corps intermédiaires.

Les élites politiques couvrent un champ très large qui va des vestiges de l’ancien Front Islamique de Salut (FIS) aux laïques et aux « républicains » qui, pour certains, ont été des acteurs de la tragédie de la décennie noire. Sans parler de ces millions de jeunes qui jusqu’aux récentes mobilisations semblaient en désintérêt total avec l’objet politique 

Une certitude donc, la majorité des manifestants ne se reconnaît pas dans les partis politiques même s’il y’a une convergence apparente dans les revendications exprimées. Dans ces conditions, il est très difficile pour les partis politiques de s’approprier le Hirak, L’impératif du dialogue doit primer pour l’intérêt suprême de la Nation

Mondafrique; A quelle échéance pourrait avoir lieu l’élection présidentielle. Sur quelles forces l’Etat Major peut s’appuyer?

L’urgence de la situation n’exclut pas le consensus. L’institution militaire incite au dialogue que certains refusent avec obstination, tout en critiquant la composition des commissions qui ont vu le jour. Certaines personnalités respectables et capables de garantir le sérieux du dialogue, ont préféré s’abriter dernière des excuses fallacieuses au détriment des intérêts du pays. Etranges postures alors alors qu’elles ont été parfois les serviteurs du système qui a engendré la situation actuelle…

L’État major, via son chef ,a exprimé à maintes reprises  qu’il ne coopte aucun parti ni aucune personnalité, La tenue d’une constituante n’est pas une idée absurde, sauf que les fractures qui existent au sein de notre société risquent de nous plonger dans des débats interminables. Libre au nouveau président légitiment élu d’appeler à un référendum sur les questions de son choix, mais à son rythme et sans palabres inutiles!

Mondafrique. Quel rôle donner à la mouvance islamiste dont il faut rappeler que lors du «  »printemps algérien » entre 1988 et 1992 elle a obtenu la majorité des suffrages lors des municipales d’abord et lors d’un premier tour des élections législatives ensuite?

Le fondamentalisme salafiste est encore une réalité sociologique, mais en nette régression au profit d’un islamisme piétiste et non politisé. La question n’a pas été réglée en profondeur. Les partis islamistes légaux encouragés sous Bouteflika se trouvent dans une posture d’attentisme et d’opportunisme, mais n’ont aucune véritable offre politique à faire valoir. 

Mondafrique. -La France exerce-t-elle des pressions sur les autorités algériennes pour favoriser une sortie de crise qui aurait sa préférence?

Que la France s’intéresse à ce que se passe chez nous est logique vu nos relations basées sur le respect et l’indépendance mutuelles, Mais d’ingérence, il n’y en a point!

Mondafrique. L’homme d’affaires kabyle Issad Rebrab compte de nombreux soutiens en France, dont le président français, Emmanuel Macron. Des messages sont-ils parvenus à Alger le concernant?

Que des personnalités françaises indépendantes expriment leur sympathie pour Rebrab est possible, mais c’est un non événement pour nos institutions. Les officiels français n’ont pas à se mêler des dossiers traités par la justice algérienne 

Nos amis étrangers doivent comprendre que le Hirak est une fierté pour l’Algérie. L’’image d’un peuple pacifique et civilisé donne du baume au cœur. Personne ne souhaite un épilogue autre que celui qui garantira le choix populaire pour une Algérie nouvelle,