Personne ne sait qui dirige le Gabon

17/07/2019 – La redaction de Mondafrique

Mondafrique a interviewé M. Jean Gaspard Ntoutoume, haut fonctionnaire du Gabon, expert, membre du parti d’opposition Union Nationale, Cosignataire de l’Appel à Agir qui vise à faire la lumière sur les capacités réelles d’Ali Bongo à diriger le Gabon.

Propos recueillis par Jocksy Ondo Louemba.

Mondafrique – Quel bilan faites-vous des dix ans de pouvoir d’Ali Bongo ?

JGNA – « Le peuple Gabonais, en se prononçant massivement en faveur du changement lors de l’élection présidentielle du 30 août 2009, signifiait à la Nation et au Monde son ardent désir de développement économique et de progrès social, son indéfectible attachement aux valeurs de la Démocratie et de la République.

En rejetant clairement dans les urnes le pouvoir PDG, le peuple Gabonais, dans sa grande sagesse, exprimait sa détermination à rejeter l’arrogance, l’amateurisme, l’improvisation et l’oligarchie qui menaçaient notre pays.

Face à ce qui commence à ressembler au déclin du Gabon, la Coalition est plus que jamais engagée à poursuivre le combat afin de permettre au peuple de disposer, comme il le souhaite et l’exprime, de Gouvernants démocratiquement choisis par lui, entièrement voués à l’amélioration significative des conditions de vie des Gabonaises et des Gabonais, respectant l’État de droit et la démocratie républicaine et ayant un véritable projet de développement économique, social et culturel pour le Gabon. ». Cette déclaration de la Coalition des groupes et partis politiques date du 20 janvier 2010

Barack Obama déclarait, lors de son discours devant le parlement Ghanéen, à Accra, le 11 juillet 2009 : “Chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Mais l’histoire prononce un verdict clair : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas.”

Malheureusement pour le Gabon, le 16 octobre 2009, Ali Bongo s’est imposé à la tête de notre pays en violation de l’expression des suffrages du peuple gabonais lors de l’élection présidentielle du 30 août 2009, avec la complicité des institutions qui avaient en charge la conduite du processus électoral et l’instrumentalisation des forces de sécurité et de défense. Il a été aidé en cela par des compatriotes qui, par fidélité à Omar Bongo auquel ils étaient convaincus d’être éternellement redevables, s’étaient persuadés que la dévolution monarchique leur permettrait de conserver les positions de confort dans lesquelles ils se trouvaient. Dix (10) ans après, ces compatriotes le regrettent tous. Oui, tous.

« ALI BONGO N’A JAMAIS ETE PORTEUR D’AUCUNE AMBITION POUR LE GABON ET SON PEUPLE »

Ali Bongo n’a jamais été porteur d’aucune ambition pour le Gabon et son peuple. Son établissement frauduleux au pouvoir à partir de 2009 a entamé la régression du Gabon au plan politique, économique et social. Notre vivre ensemble a été abimé comme jamais. La cupidité et l’incompétence ont gangréné comme jamais l’appareil d’État. Les conditions d’existence des populations n’ont eu de cesse de se dégrader. Le rejet massif de sa candidature lors de l’élection présidentielle du 27 août 2016 en atteste.

Personnellement, je ne me suis jamais fait aucune illusion quant à la capacité d’Ali Bongo à un incarner ma conception de la fonction présidentielle et encore moins à réaliser les attentes du peuple gabonais. Mais je dois à la vérité de dire que j’avais sous-estimé sa capacité à abimer notre pays, son inaptitude à porter et réaliser le moindre projet de développement. En 10 ans, le Gabon a régressé comme jamais dans son histoire.

Quelles sont vos relations avec Jean Ping ? 

Au-delà de nos relations induites par mes responsabilités lors de l’élection présidentielle de 2016, Jean Ping c’est d’abord et surtout, notre Président. Celui qui a été élu par les Gabonais le 27 août 2016. Jean Ping est celui pour qui j’ai voté le 27 août 2016. Et comme moi, deux électeurs sur trois.

Mais, il me semble que votre question est en lien avec mon engagement lors de l’élection présidentielle de 2016.

Je suis militant de l’Union Nationale depuis la création de notre formation politique le 10 février 2010. C’est donc au sein de ma formation politique que mon engagement politique s’est toujours exprimé. Et c’est aussi en cette qualité de militant de l’Union Nationale que je me suis retrouvé aux cotés du candidat, puis du Président élu Jean Ping.

En effet, lors de l’élection présidentielle de 2016, avant la désignation du candidat unique de l’opposition, j’étais membre de l’équipe de campagne de Monsieur Casimir Oye Mba, qui avait été investi démocratiquement par le congrès de l’Union Nationale. Le 16 août 2016, Jean Ping a été choisi pour être le porte-drapeau de l’opposition, notre candidat unique pour l’élection présidentielle du 27 août. Une coordination générale de campagne, regroupant les équipes de campagne de Guy Nzouba Ndama, Casimir Oye Mba, Léon Paul Ngoulakia et Jean Ping a été mise en place. C’est ainsi que je me suis vu confier la lourde responsabilité de la communication de notre candidat. Notre équipe de communication était composée de compatriotes compétents, engagés et désintéressés.

Ma responsabilité m’a naturellement conduit à travailler quotidiennement et étroitement avec Jean Ping. Dans ma responsabilité, j’ai toujours été assuré de son soutien. Pour ma part, je me suis impliqué à ses côtés sans réserve, avec enthousiasme, honnêteté et loyauté, et dans l’intérêt du Gabon. Je garde le souvenir d’une personne toujours disponible et qui m’a accordé une grande confiance. Une expérience enrichissante, une phase importante de mon engagement politique. Je pense humblement qu’entre nous se sont noués des liens humains qui sauront avoir raison du temps et des circonstances.

« JEAN PING EST LE PRESIDENT DE LA COALITION POUR LA NOUVELLE REPUBLIQUE DONT L’UNION NATIONALE EST MEMBRE. IL Y A DONC TOUJOURS UNE CONVERGENCE DE VUE. NOUS APPARTENONS AU MEME CAMP POLITIQUE, CELUI DE CEUX QUI VEULENT D’UNE ALTERNANCE AU GABON ».

Aujourd’hui Jean Ping est le Président de la Coalition pour la nouvelle République dont l’Union Nationale est membre. Il y a donc toujours une convergence de vue. Nous appartenons au même camp politique, celui de ceux qui veulent d’une alternance au Gabon.

Aussi, lorsque nous avons lancé l’Appel à Agir le 28 février dernier, avons-nous tenu à l’informer de notre démarche et à solliciter ses conseils. Dès le jeudi 07 mars 2019, il nous a fait l’honneur de nous recevoir en audience à sa résidence pour nous féliciter pour notre initiative et nous assurer de son soutien.

Vous avez lancé « l’appel à agir » qu’est-ce que c’est et pourquoi ? 

Le 24 octobre 2018, Monsieur Ali Bongo a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) à Ryad en Arabie Saoudite. À la suite de cela, sa capacité à exercer les charges de sa fonction était réellement en cause, plongeant le pays dans une crise institutionnelle que nul ne pouvait contester. Face à cette situation, le pouvoir établi a d’abord choisi de mentir avant de s’enfermer dans le déni et le silence sur l’état de santé du président de la République. Dans le même temps, il a mis en œuvre tout ce qui était possible pour conserver le pouvoir et éviter la déclaration de la vacance de la Présidence de la République, seule réponse constitutionnelle à cette situation.

Depuis le 24 octobre 2018, chacun se demande qui dirige réellement le Gabon sans pouvoir y apporter une réponse satisfaisante et conforme à la Constitution. Le désordre s’est ainsi installé au sommet de l’État, ruinant les minces et fragiles acquis de l’État de droit, de la Démocratie et des droits de l’Homme, ainsi que les espoirs de stabilisation économique que représentait le programme triennal avec le FMI.

« LA TENTATIVE DE COUP D’ÉTAT DU 07 JANVIER 2019 A FINI DE NOUS CONVAINCRE DE L’EXTREME GRAVITE DE LA SITUATION DANS LAQUELLE LE PAYS SE TROUVAIT. EN REPONSE A CETTE SITUATION QUE NOUS JUGIONS INACCEPTABLE, NOUS AVONS ENTREPRIS DE NOUS RETROUVER POUR REFLECHIR AUX MOYENS D’EN SORTIR. CETTE REFLEXION A CONDUIT A « L’APPEL A AGIR » QUE NOUS AVONS LANCE LE 28 FEVRIER 2019 »

La tentative de coup d’État du 07 janvier 2019 a fini de nous convaincre de l’extrême gravité de la situation dans laquelle le pays se trouvait. En réponse à cette situation que nous jugions inacceptable, nous avons entrepris de nous retrouver pour réfléchir aux moyens d’en sortir. Cette réflexion a conduit à « l’Appel à Agir » que nous avons lancé le 28 février 2019. À travers cet appel, dans une démarche non violente, républicaine et respectueuse de l’État de droit, nous demandons que cesse l’imposture à la tête de l’État, et l’expertise d’un collège de médecins pour attester de la capacité de Monsieur Ali Bongo à assurer les charges de la fonction de président de la République.

La seule réponse du pouvoir à la situation actuelle reste la même : « Les institutions fonctionnent normalement ». Cette assertion, qui relève de la communication institutionnelle, ne trompe personne. Dans un régime présidentialiste comme celui du Gabon, l’absence du Chef de l’État constitue une crise institutionnelle majeure. Monsieur Ali Bongo n’est pas en capacité de diriger le Gabon. Cette situation est intenable et nul ne peut le contester.

L’expression actuelle de la société civile, notamment celle de la confédération syndicale Dynamique Unitaire, à travers son président Jean Rémy Yama, constitue la réponse citoyenne que nous attendions à la suite de notre appel. Et ainsi que nous l’avons dit dans notre communiqué du 04 juillet dernier, tant qu’une expertise médicale ne viendra pas attester de la capacité d’Ali Bongo à exercer les charges de la fonction de président de la République, tant que les Gabonais se poseront avec gravité la question de savoir « Qui dirige le Gabon ? », tant que le doute légitime qui habite l’opinion ne sera pas levé, il se trouvera toujours une femme ou un homme pour porter, comme le Président de Dynamique unitaire, les interrogations du peuple gabonais.

L’expertise médicale sur la personne de Monsieur Ali Bongo s’impose comme la seule réponse pertinente à la situation de crise actuelle que traverse le Gabon. L’ensemble du corps social partage désormais notre analyse et nous entendons poursuivre cette démarche républicaine en rassemblant les Gabonais autour de cet impératif.

Le 07 Janvier 2019 il y a eu une tentative de coup d’état au Gabon quelle analyse en faites-vous ?  

Le 7 janvier 2019, un groupe de militaires composé d’éléments de la gendarmerie nationale et de la garde républicaine pris d’assaut la maison de la radio pour dénoncer la logique de confiscation du pouvoir et en appeler à la reprise dudit pouvoir par le peuple. Le chef suprême des armées n’a jamais pu prendre la parole pour non seulement rassurer le peuple mais surtout affirmer son autorité sur la Grande muette. Pourtant, la réaction du président de la République, normale dans toute société ou les armes viennent perturber le quotidien des citoyens, relève d’une fonction effective qui ne peut se satisfaire d’une mission de témoignage. Ce fut la preuve, s’il en était encore besoin, que la fonction de président de la République n’était plus assumée.

En cas de déclaration de vacance de pouvoir au Gabon que ferez-vous ? Serez-vous candidat ? 

Qui dirige le Gabon ? Nous devons à la vérité de dire que depuis plusieurs mois, un intérim de la Présidence de la République se déroule sous nos yeux de manière totalement illégale. Cet intérim est assuré par les fonctionnaires de la Présidence de la République. 

Alors qu’Ali Bongo était réputé être à Libreville, le Secrétaire Général du PDG a procédé, en lieu et place du Président de ce parti, au renouvellement pour plus de la moitié du Comité permanent du bureau politique du PDG, instance dont la seule fonction est de choisir le candidat du PDG à l’élection présidentielle. Il ne fait donc aucun doute que le pouvoir se prépare à une élection présidentielle anticipée sans Ali Bongo.

« LA DECLARATION OFFICIELLE DE LA VACANCE DU POUVOIR PARAIT DONC PROCHE A TOUT OBSERVATEUR ».

La déclaration officielle de la vacance du pouvoir parait donc proche à tout observateur.

Depuis 2009, je me suis engagé en politique aux côtés des forces de progrès afin que triomphe la démocratie et que survienne une alternance pacifique dans notre pays. C’est également pour cette raison que j’ai adhéré à l’Union Nationale dès sa création.

L’Union Nationale présentera un candidat à la prochaine élection présidentielle. Que cette élection ait lieu demain, en 2023 ou avant. Ce candidat sera démocratiquement désigné par les militants de notre parti réunis en congrès. Et comme en 2016, je soutiendrai le candidat qui aura été investi par notre parti.

« SERAI-JE MOI-MEME CANDIDAT ? LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE LE PERMET ET LES STATUTS DE L’UNION NATIONALE AUSSI. MAIS MON ENGAGEMENT POLITIQUE N’A JAMAIS ETE UNE AVENTURE INDIVIDUELLE ET ENCORE MOINS UNE QUETE DE POSITION DE POUVOIR. »

Serai-je moi-même candidat ? La constitution de la République le permet et les statuts de l’Union Nationale aussi. Mais mon engagement politique n’a jamais été une aventure individuelle et encore moins une quête de position de pouvoir. 

Ce qui justifie mon engagement politique c’est le Gabon et le peuple Gabonais. C’est pour le Gabon et le peuple gabonais que je me suis engagé aux côtés d’André Mba Obame en 2009 avec l’objectif d’offrir une nouvelle espérance à notre pays. C’est pour le Gabon et le peuple gabonais qu’en 2016, je me suis engagé à la place qui était la mienne, au mépris des risques pour moi et ma famille.

Soyez assuré d’une chose, à la place qui sera la mienne, quelle qu’elle soit, je prendrai pleinement mes responsabilités.

Quel est votre mot de la fin ? 

Il y a quatre ans, le 12 avril 2015, André Mba Obame aux côtés de qui je me suis engagé en politique pour la première fois, nous a quittés. Trois ans avant son décès, il a prononcé ces mots à la Cathédrale de Libreville :

« En ce lieu de la Fraternité et de l’Esperance, je voudrais avoir à l’endroit de tous et de chacun ses trois mots simples et pourtant essentiels. Trois mots sans lesquels rien n’est possible et avec lesquels tout est possible.

La Confiance d’abord, la Loyauté ensuite, le courage enfin.

La Confiance. Nous devons avoir Confiance en nous même et dans ce que nous faisons. Donc ne jamais douter. Nous devons être en confiance avec cet autre qui n’est que le prolongement de nous-mêmes, cet autre a qui nous confions notre espérance, donc notre vie. Nous devons aussi faire confiance et ne point douter de l’autre. Cet autre qui lui aussi nous a accordé sa confiance, donc sa vie. C’est donc fort de votre confiance et en confiance au milieu de vous que je me suis toujours présenté à vous et qu’aujourd’hui encore je me tiens au milieu de vous.

La Loyauté. Oui la Loyauté. La Loyauté c’est l’honnêteté, c’est la droiture. Il suffit de regarder autour de nous, pour comprendre 4 ans après [10 ans après c’est toujours la même chose] où nous conduisent le mensonge, l’imposture. Nous devons à notre pays d’être toujours loyaux. Nous le devons à notre pays, nous le devons à nos compatriotes, nous le devons à nos amis, à nos compagnons à nos familles.

Le Courage. Oui le courage. Le courage de dire non et de faire face parce ce que l’on fait est juste. Le courage d’être seul face à tous au nom de la vérité. Le courage de faire face, non pas pour soit, mais au nom du Gabon et de son peuple.

J’ai un idéal, la démocratie dans un Gabon pour tous. Une exigence, la justice dans un État de droit. 

Et rien de cela n’est négociable. Rien. »

Ces mots d’André Mba Obame ne me quittent jamais.

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