Depuis 2023, la région de l’Azawad, au nord du Mali, est le théâtre d’une guerre dévastatrice et d’épidémies incontrôlables, plongeant la population dans une crise humanitaire sans précédent. Malgré la gravité de la situation, cette tragédie se déroule dans l’ombre des préoccupations mondiales.
Rania HADJER
La situation sur le terrain est des plus alarmantes. Entre les exactions de la junte malienne et des forces de Wagner, et la propagation rapide des épidémies, le spectre d’un génocide pèse lourdement. Dans ce contexte de chaos, des voix s’élèvent pour alerter le monde. Mossa Ag Inzoma, conseillé du CSP-DPA (Cadre Stratégique pour la Défense du Peuple de l’Azawad) et combattant, Ayoub Ag Chamad, porte-parole de l’organisation Imouhagh Intenationale, une organisation non gouvernementale de défense des Droits de l’Homme, le docteur Hassan Alla, médecin généraliste exerçant à Tedjaret Alata dans la région de Ménaka ainsi que le docteur Alyad Ag Toumast, médecin hospitalier exerçant à Tinzaouaten, partagent leurs témoignages poignants sur cette crise.
Une guerre sans témoins
Le nord du Mali, nommée Azawad par les Touaregs locaux, est depuis longtemps une zone de tensions entre le gouvernement malien et les populations touarègues et maures. En 2023, ces tensions se sont transformées en une violence inédite, orchestrée par l’armée malienne avec le soutien des mercenaires du groupe Wagner.
« La crise humanitaire a commencé lorsque le gouvernement militaire malien a expulsé la mission internationale multidimensionnelle (MINUSMA) et rompu l’accord d’Alger. Cela a créé un vide international qui a permis aux nouvelles autorités de Bamako de commettre leurs crimes horribles loin des yeux du monde. Des villages entiers ont été détruits avec leurs habitants. Depuis plus d’un an, l’armée malienne et les mercenaires de Wagner commettent des actes qui s’apparentent à un nettoyage ethnique dans un silence effrayant de la communauté internationale et régionale », explique Ayoub Ag Chamad, porte-parole de l’Organisation Imouhagh Internationale.
Mossa Ag Inzoma, combattant de l’armée de l’Azawad, témoigne des horreurs vécues sur le terrain et dénonce l’utilisation de méthodes barbares, telles que l’empoisonnement des puits et l’utilisation de produits chimiques toxiques. « Sur le terrain, nous avons constaté l’utilisation d’armes létales, mais aussi de barils de produits chimiques largués en même temps que les obus envoyés par les drones », affirme-t-il. Selon lui, l’objectif principal de la junte malienne est de réduire la population azawadienne en tuant à la fois les civils et les combattants. « Les attaques visent même le bétail, afin d’appauvrir les communautés locales et les pousser à l’exil. »
Il ajoute : « Ce n’est pas la première fois que notre région connaît de tels massacres de masse mais la violence que nous vivons depuis 2023 est sans précédent. Les officiers au pouvoir aujourd’hui étaient autrefois des subalternes confrontés au MNLA en 2012, lorsque nous les avons chassés de l’Azawad. Cette défaite reste une plaie non cicatrisée, et leur ascension au sommet du pouvoir malien est accompagnée d’une soif de vengeance. Ce sont les civils qui en subissent les conséquences. »
Les milices de Wagner, alliées de l’armée malienne, jouent un rôle central dans ces exactions « Nous n’avons jamais vu une telle barbarie. Aujourd’hui, en 2024, si nous faisons le bilan des affrontements, nous constatons que les FAMa, aidées par Wagner, ont fait très peu de victimes parmi les forces armées de l’Azawad. La grande majorité des morts sont des civils, des femmes, des enfants, et des personnes âgées, se comptant par centaines », conclut-il.
D’après le témoignage de Mossa, les violences subies par les populations civiles, incluant des viols, des mutilations et des exécutions sommaires, rappellent les pires heures des conflits ethniques en Afrique « Lorsque Wagner est arrivé pour la première fois dans le village de Hombori, ils ont ouvert le feu sur des civils un jour de marché. Ceux qui n’ont pas été tués ont été capturés, attachés et emmenés dans un camp à 7 km à l’ouest de Hombori. Les survivants m’ont raconté des tortures inimaginables : ils ont chauffé des tôles et ont fait cuire vivants ceux qu’ils avaient capturés. À Gossi, les mêmes méthodes sont utilisées pour extorquer des informations aux civils. J’ai vu de mes propres yeux les victimes, leurs mains et pieds brûlés, à l’hôpital. Beaucoup n’ont pas survécu à ces atrocités. » témoigne Mossa.
Epidémies et malnutrition
La guerre dans l’Azawad n’est pas seulement une tragédie de violence militaire, elle a également engendré une crise sanitaire dévastatrice. Le docteur Hassan Alla, médecin généraliste à Tedjaret Alata dans la région de Ménaka, décrit une situation désespérée : « La situation humanitaire est indescriptible sous tous ses aspects : social, économique et sécuritaire. Les maladies répandues, en particulier ces jours-ci, sont les différentes formes de paludisme mortel, ainsi que l’anémie sévère, la malnutrition, la diphtérie, la rougeole, la coqueluche, l’hypertension artérielle, entre autres, en raison de l’absence des services de santé les plus élémentaires dans la région. »
L’impact de la guerre est visible dans la propagation rapide des maladies. Selon le docteur Alla, « L’insécurité et l’incapacité d’accéder aux endroits où sont fournis les soins de santé primaires favorisent la propagation de nombreuses maladies parmi la population déplacée. » Dans les camps de déplacés, l’absence de médicaments et de vaccins nécessaires aggrave encore la situation. « Les épidémies se propagent très rapidement parmi la population car il est impossible d’isoler les personnes atteintes. Et le manque de médicaments complique davantage la situation. Nous ne recevons aucun soutien de la part d’aucune organisation. »
Cette absence de soutien est également dénoncée par le docteur Alyad Ag Toumast, médecin hospitalier à Tinzaouaten, qui souligne l’aggravation des conditions sanitaires par la guerre. « Il y avait quelques centres de santé rudimentaires qui prenaient en charge les malades, mais ils ont été détruits par les bombardements. Les organismes humanitaires internationaux ne peuvent plus accéder aux régions touchées en raison des bombardements intensifs et de la fermeture des couloirs humanitaires. Rien que dans la zone de Tinzaouaten, entre le paludisme et la diphtérie, il y a des centaines de cas, et tous les jours, des dizaines de décès. »
Le docteur Ag Toumast met également en lumière une autre conséquence des bombardements : la contamination chimique. « Suite à une frappe sur Tinzaouaten, des enfants se sont approchés des lieux bombardés et ont été contaminés par les produits chimiques qui provoquent des hémorragies. Quatre enfants sont décédés. » Il ajoute : « Il est également possible que les bombardements intensifs des points d’eau contaminent les sources par des produits chimiques. Nous n’avons aucun moyen de le vérifier, mais cela est très probable. »
Perspectives de paix
Face à l’ampleur de la crise, l’organisation Imouhagh Internationale pour la Justice et la Transparence a alerté le Secrétaire général de l’ONU, dénonçant fermement l’octroi de 10 millions de dollars par les Nations Unies au gouvernement malien, soulignant que « ces fonds risquent d’être détournés pour financer des armes, au lieu de promouvoir la paix et la stabilité ». Ces craintes reflètent la méfiance généralisée vis-à-vis de la junte au pouvoir, accusée de mener une guerre de purification ethnique.
Mossa Ag Inzoma partage cette vision tout en tenant compte de la nécessité d’un dialogue. « Malgré les violences subies, nous restons très optimistes. Nous savons que toutes nos revendications ne pourront pas être obtenues par les armes et qu’il faudra, tôt ou tard, négocier. Mais à ce jour, il n’y a pas d’interlocuteur crédible et légitime pour entamer de véritables pourparlers. Cela ne sera possible que lorsque des personnes honnêtes et de bonne volonté seront au pouvoir. »
En l’absence de réels interlocuteurs, Mossa Ag Inzoma lance un appel à la communauté internationale : « Nous lançons un appel à la CEDEAO et aux pays voisins pour qu’ils apportent un soutien urgent à ce peuple meurtri de l’Azawad, et pour que justice soit enfin rendue. »
Sur le plan sanitaire, les médecins unissent leurs voix pour lancer un cri du cœur : « J’appelle les organismes internationaux à intervenir et à cesser de faire de l’humanisme sélectif. Nous sommes les oubliés du monde. Chaque jour, des gens meurent sans aucune assistance, dans une indifférence totale. » déclare Dr Alyad Ag Toumast. Ce sentiment d’urgence est partagé par Hassan Alla : « Nous ne recevons aucun soutien de la part des organisations humanitaires. Il est crucial d’examiner cette tragédie, de trouver un mécanisme d’aide efficace et de renforcer les efforts internationaux pour empêcher l’aggravation de la crise. »
Ces témoignages poignants mettent en lumière l’urgence de la situation dans l’Azawad, où les populations civiles sont prises au piège d’une guerre sans fin, privée de tout secours. La communauté internationale est plus que jamais appelée à agir, non seulement pour rétablir la paix, mais aussi pour répondre à une crise humanitaire qui ne cesse de s’aggraver.
Les racines historiques du conflit oublié de l’Azawad