Algérie, l’appel du chaos

21/02/2019 – Nicolas Beau

Les principales forces politiques et associatives algériennes appellent, les vendredi 22 et dimanche 24 février, à de grandes manifestations. Avec un risque certain, hélas, de débordements et de violences.

Alors que les réserves de change ont brutalement chuté en cinq ans de 210 à 70 milliards de dollars, l’Algérie se prépare à une crise économique et sociale sans précédent. Au sein des élites intellectuelles et politiques algériennes, personne n’ignore l’ampleur du désastre annoncé.

Face à l’urgence, des convergences naissent entre les leaders démocrates et les chefs de l’islam politique qui ne se parlaient plus. Le week end dernier à Paris au siège de la télévision Marabiya financée par un des fils d’Abassi Medani, ancien patron du Front Islamique du Salut (FIS), les retrouvailles semblaient réelles. Le temps d’un colloque fréquenté par des opposants de tous bords, on a pu avoir le sentiment que les années noires (150000 morts entre 1992 et 1995) étaient révolues. « Tout n’est pas perdu, explique l’un de ces opposants, mais tout risque de l’être, si nous ne trouvons pas la voie d’une réconciliation nationale ».

Loin de ce message d’espoir et sans perspectives politiques sérieuses, à l’exception de la nouvelle candidature surréaliste du président Bouteflika, les jeunes générations algériennes sont descendues massivement dans les rues ces derniers jours. On a vu les manifestants briser les portraits du chef de l’état et dénoncer « les 1000 milliards de dollars », qui se seraient évaporés pendant le règne de Bouteflika. Ce chiffre, à lui seul, résume deux décennies de faillite économique et sociale.

Du coup, les appels se multiplient pour manifester les 22 et 24 janvier, d’abord en Algérie puis en Europe pour exiger la chute du « système ». Non sans risques de violence, compte tenu de la tentation chez certains clans malfaisants de jouer désormais la politique du pire.

« Nous ou le chaos »

Du coté du Palais de Zéralda hanté par le spectre d’un président à bout de forces, on cherche à tout prix à gagner du temps. « Nous ou le chaos », voici le seul programme de Said Bouteflika, le frère du chef de l’Etat, des milliardaires qui l’entourent et de leur janissaire, le général Tartag, le patron des services secrets qui fut coutumier, durant sa carrière mouvementée, des coups tordus et les méthodes expéditives. Lesquelles lui vaudraient, s’il n’était pas protégé, les foudres de la justice internationale.

L’existence de débordements, le vendredi 22 février, à la sortie des mosquées serait du pain béni pour le clan présidentiel. Said et les siens savent que le cinquième mandat n’est pas jouable, alors qu’un Abdelaziz Bouteflika mourant ne peut plus être même présenté en public. Les possibles violences, faciles à orchestrer, leur permettraient de se draper dans ce qui leur reste de légalité, d’agiter le danger islamiste, voire terroriste, et de proclamer l’état de siège.

Il leur faut à tout prix trouver une sortie institutionnelle (prolongation du mandat, vice présidence, Haut Comité d’Etat, type celui de 1992….), qui éviterait la case élection.

La politique du pire

La situation est d’autant plus périlleuse que d’autres forces occultes, regroupant certains réseaux de l’ex DRS du général Toufik ,ont tout intérêt à joue aussi la déstabilisation de l’Etat.

Sans même évoquer le rôle que pourrait jouer, dans un contexte de crise des institutions, le général Ali Ghediri, principal opposant à s’être porté candidat aux Présidentielles d’avril et un possible recours. D’autant que ce gradé semble gagner aujourd’hui de grands soutiens au sein de l’institution militaire souvent mal à l’aise face à la défense du cinquième mandat prônée par un chef d’état major, Gaïd Salah, qui se veut fidèle à Abdelaziz Bouteflika avec qui il a fait alliance depuis 2004.

Face à la montée des périls, le vice ministre de la Défense ne pourra pas rester longtemps inactif. S’il veut maintenir sa position d’arbitre sans lequel rien n’est possible dans la vie politique algérienne, Gaïd Salah pourrait être condamné à agir pour préserve la légalité républicaine. La loyauté qu’il affiche à l’égard d’Abdelaziz Bouteflika, ne saurait lui servir d’assurance vie, si ses adversaires l’emportaient finalement.

Contrairement aux événements d’Octobre 1988 ou à l’accession au pouvoir de Bouteflika en 1999, les divisions au sein de l’institution militaire rendent fragile et inquiétante la transition en cours.