Guinée, la contestation ne s’exprime plus qu’au sein de l’armée

17/09/2025 – La rédaction de Mondafrique

La suspension de trois partis majeurs, le 22 août 2025, marque une nouvelle étape dans la fermeture du jeu politique en Guinée. Le référendum constitutionnel prévu le 21 septembre prochain pourrait ouvrir la voie à la candidature du chef de la junte, le général Mamadi Doumbouya. Le chercheur Vincent Foucher, auteur de plusieurs articles sur la politique guinéenne, explique, face à ce verrouillage, la contestation risque de ne trouver d’issue qu’au sein même de l’armée. Il répond aux questions de The Conversation Africa.


La suspension de trois principaux partis d’opposition

Il s’agit là d’une étape de plus dans la fermeture du champ politique entamée dès le coup d’État de septembre 2021 qui a vu la junte du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) renverser le président Alpha Condé. Le CNRD a prolongé depuis la période de « transition », et semble préparer l’élection du chef de la junte, le (récent) général d’armée Mamadi Doumbouya.

Ceci se produit alors même que la junte s’était engagée à rendre le pouvoir aux civils, et à le faire rapidement.

Depuis 2021, le CNRD a joué la montre, retardant les évolutions institutionnelles promises juste après le coup d’Etat, et notamment la rédaction d’une nouvelle Constitution et la réforme du dispositif électoral.

Le temps ainsi gagné a permis une fermeture de plus en plus stricte du champ politique, plus étroite encore que celle opérée par le régime du président Condé (2010-2021) que la junte avait renversé. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise. La junte est composée d’un petit groupe de militaires issus du régime Condé, qui n’ont fait qu’intensifier les méthodes de leur ancien chef.

La junte avait ainsi commencé par utiliser la justice pour neutraliser certaines figures influentes du parti de Condé. Elle s’inquiétait sans doute que ces personnages disposent encore de ressources matérielles et de réseaux leur permettant de préparer un contre-coup.

Avec les partis d’opposition et avec le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de la société civile qui avait mené la lutte contre le tournant autoritaire de Condé, la junte avait d’abord eu une attitude ouverte. Elle avait même obtenu un temps leur soutien, utile face à une communauté internationale prudente. Mais la rupture était survenue assez rapidement, quand il était apparu que la junte comptait gouverner avec ses hommes à elle, en ne faisant que peu de place aux partis politiques ou au FNDC.


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Quand le FNDC et les partis (y compris le Rassemblement du peuple de Guinée, le parti d’Alpha Condé, maintenant dans l’opposition) ont commencé à mobiliser contre le CNRD, les militaires se sont employés à les neutraliser. Ils ont combiné répression des manifestations et poursuites judiciaires contre les principaux leaders d’opposition, qui ont préféré s’exiler.

Deux animateurs du FNDC ont disparu depuis leur arrestation non officielle en juillet 2024, et beaucoup d’observateurs les pensent morts en détention, peut-être sous la torture.

Mais l’arsenal employé est varié et inclut des outils moins brutaux. Ainsi, en 2024, le CNRD avait suscité une « mission d’évaluation des partis politiques » visant à « assainir l’échiquier politique », au terme de laquelle des dizaines de petits partis politiques avaient été dissous. C’était une autre manière, au nom de la loi et de la bonne organisation de l’espace politique, de décourager les velléités d’opposition.

C’est au nom de cette même logique que trois partis d’opposition (deux des trois sont des partis majeurs, à savoir le RPG et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) ont été suspendus pour trois mois, juste avant le référendum. Relevons cette combinaison savante entre brutalité spectaculaire occasionnelle et manipulation de la rhétorique et des formes de la « réforme ».

Les risques politiques du référendum annoncé 

À dire vrai, le niveau de verrouillage semble tel qu’on a du mal à imaginer que le CNRD puisse ne pas parvenir à ses fins pour le moment. Il s’agit pour lui de faire approuver, par un référendum prévu le 21 septembre prochain, la nouvelle constitution, qui autorisera le général Doumbouya à se porter candidat à la prochaine élection présidentielle (encore non fixée).

Rappelons qu’Alpha Condé avait fait la même chose, en faisant passer par référendum une nouvelle Constitution (il souhaitait alors s’autoriser un troisième mandat), et qu’il avait réussi à organiser une élection qu’il avait remportée. Aujourd’hui, Doumbouya est dans une situation plus favorable, il exerce une pression plus forte que Condé dans la sphère publique et la plupart des principaux opposants sont en exil. Il est donc bien placé pour s’imposer, au moins à court terme.

Il bénéficie en effet d’un véritable alignement des planètes : l’État guinéen dispose de ressources plus importantes grâce à la mise en œuvre récente d’un immense projet minier, et les pouvoirs militaires ont retrouvé une certaine légitimité en Afrique. Les régulations politiques internationales et sous-régionales sont affaiblies, tandis que la France, qui ne veut pas se fâcher avec un régime ouest-africain de plus, se fait particulièrement discrète.


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Les issues de sortie de crise 

En Guinée, depuis l’indépendance jusqu’à maintenant, les alternances n’ont été possibles que par la mort naturelle du président ou par la violence – les deux premiers présidents, Sékou Touré (1958-1984) puis Lansana Conté (1984-2008), sont restés au pouvoir un quart de siècle chacun, jusqu’à leur mort (de maladie). Le capitaine Moussa Dadis Camara, qui avait succédé à Conté fin 2008, n’a quitté le pouvoir que parce qu’il a été gravement blessé par un de ses subordonnés fin 2009. Et Alpha Condé, on l’a vu, a été renversé par un coup d’Etat en 2021.

Le pouvoir ne semble donc pas se transmettre volontairement et pacifiquement en Guinée… Il y a des raisons à cela : une fois qu’un chef d’Etat est en place, il bénéficie d’un Etat assez résilient, arc-bouté sur ses ressources minières, et qui joue de la carotte et du bâton sans hésiter. Face à lui, une population appauvrie, dépendante, et aussi divisée par des clivages ethnorégionaux utilisés par certains acteurs politiques.

Il est très difficile de mobiliser largement contre le régime en place – le FNDC avait su le faire avec brio contre Condé, mais sans vraiment l’emporter : c’est bien le coup d’Etat de Doumbouya qui avait finalement fait tomber Condé.

À regarder l’histoire de la Guinée et malgré le courage des Forces vives de Guinée, une nouvelle itération du FNDC qui tente de mobiliser contre la junte, il est à craindre que le changement, s’il se produit, ne puisse venir que du sein même du régime, et plus précisément des forces armées elles-mêmes.

Certains incidents, ces dernières années, témoignent de l’inquiétude de Doumbouya sur ce point. Mais il a pris des dispositions pour se protéger, purgeant certains chefs militaires soupçonnés de manque de loyauté et renforçant considérablement les capacités de son corps d’origine, les forces spéciales, ainsi que de la gendarmerie, tout en prenant soin des conditions de vie de l’ensemble des militaires. Là encore, la carotte et le bâton.


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Le rôle des pays de la région 

À partir de la prise de pouvoir de Moussa Dadis Camara en 2008, et notamment à la suite du massacre d’opposants perpétré par ses hommes le 28 septembre 2009, il y avait eu une grosse implication internationale en Guinée : la Communauté économique des États ouest-africains (Cedeao) bien sûr, mais aussi les Nations-unies, l’Union européenne, la Francophonie, les Etats-unis, la France, tous s’étaient impliqués pour faciliter le retour à un régime civil…

Le problème est que cet effort international a abouti à la mise en place du régime peu convaincant d’Alpha Condé. La crédibilité et le levier des acteurs internationaux sont donc faibles en Guinée aujourd’hui, même si l’opposition et les Forces vives de Guinée n’ont guère d’autre choix que de leur faire appel, encore maintenant.

De plus, au-delà des logiques purement guinéennes, avec les différents coups d’Etat qui ont secoué l’Afrique subsaharienne ces dernières années et la rhétorique souverainiste proliférante qui les a accompagnés, l’Occident et les organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales ont vu leur influence s’affaiblir.

Par ailleurs, pour ce qui concerne les autres chefs d’Etat de la région ouest-africaine, certains n’ont pas été mécontents de voir tomber Alpha Condé, un partenaire compliqué. Et puis, beaucoup de régimes ouest-africains ont une légitimité démocratique également discutable (certains s’apprêtent d’ailleurs eux-mêmes à des manipulations constitutionnelles diverses). Donc ils sont mal placés pour faire la leçon.

Quant au Nigeria, la super-puissance de la région, et qui a par le passé joué un rôle important à travers l’Afrique de l’Ouest, il semble tourné vers ses graves problèmes internes.