Un film sur Zaphira, la dernière reine d’Algérie

27/04/2023 – La redaction de Mondafrique

Etonnant film que ce « drame historique » à grand spectacle, « la dernière reine », un film algérien produit  par l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Algérie, Taïwan, la France, et diffusé  sur un nombre limités d’écrans dans l’hexagone… À ne  surtout pas manquer !

Un film de Damien Ounouri, Adila Bendimerad Avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Mohamed Tahar Zaoui

Une chronique de Sandra Joxe

Alger 1516. Le flamboyant pirate Aroudj Barberousse libère la ville de la tyrannie des Espagnols et prend le pouvoir sur le royaume. Selon la rumeur, il aurait assassiné le roi Salim Toumi,malgré leur alliance contre les Espagnols.  Bien évidemment, le  pouvoir ne lui suffit pas, il convoite la jeune et jolie reine, la favorite du défunt roi…  on se croirait dans un conte des 1001 nuits. Mais contre toute attente, cette femme va lui tenir tête : la reine Zaphira !

La belle est aussi amoureuse qu’indocile – et, même si elle ne semble pas totalement indifférente au charisme de son prétendant ( Barberousse est incarné par un Dali Benssalah – au sommet de sa forme, même avec un bras arraché !) : elle se préoccupe surtout de l’avenir de son fils chéri, quitte à tendre la main à ses rivales : la première femme du défunt roi puis la maitresse de Barberousse et sanguinolent.

Entre histoire et légende, le parcours de ces femmes raconte leurs combats, entremêlant habilement  les bouleversements personnels et politiques dans un chatoiement de couleurs, de violence et de sensualité – toutes orientales…

Dernière reine, première rebelle

C’est par le biais d’un livre sur l’Algérie et ses personnages célèbres que les réalisateurs ont découvert Zaphira, l’épouse d’un roi, dont l’histoire oscillait entre légende et réalité.

« Très vite je me suis aperçue que ce personnage fut contesté puis soutenu à travers les siècles par historiens et chroniqueurs. À chaque fois qu’il est question d’elle, il y a un immense désir mêlé d’une remise en question de son existence. Je me suis intéressée à ce « nœud » comme une possibilité de faire surgir la question de l’effacement des femmes dans l’Histoire et la force d’évocation de la légende à une époque cruciale et jamais représentée de l’histoire d’Alger », explique Adila Bendimerad – la co scénariste, co réalisatice et (magnifique) comédienne principale du film.

En effet, ce portrait de femme, qui se découvre un destin politique en même temps qu’elle se rebelle contre la domination masculine, est le cœur palpitant de ce film haletant et bien ficelé… Zaphira se révolte tous azimuts : non seulement contre l’indifférence relative de son roi bedonnant de mari  (qui collectionne les épouses, comme il se doit) ou la violence du pirate (nettement plus sexy tout de même) mais aussi contre ses frères dépêchés par le puer patriarche et qui veulent la ramener au bercail (sous tutelle). Niet ! La belle se révèle alors sous ses multiples facettes et c’est après une première partie un peu convenue (qui jongle avec les clichés pour mieux les pulvériser par la suite ?)  qu’elle se révèle dans toute sa complexité.

Une société corsetée

Plus que « la favorite du harem », la reine Zaphira est une battante, femme amoureuse et mère passionnée,  toujours-déjà révoltée dans une société corsetée de part en part qui l’enferme derrière ses murs et ses traditions.

Le film livre par ailleurs autres originaux et  beaux portraits de femmes – toutes  courageuses et sensuelles –  qui règnent sur la sphère du privé tandis que dehors les hommes s’entredéchirent…  Les femmes elles sont solidaires malgré leurs rivalités, elles tentent de se frayer un chemin de liberté dans l’intimité du harem.

Grand spectacle

Le film, visuellement superbe, tient autant de la tragédie orientalo-shakespearienne ( intrigues de palais et combats sanglants bien arrosés d’hémoglobine) que du peplum  aux allures parfois désuètes (abondance de pittoresque et ambiance technicolor années 50) voir du divertissement de cape et d’épée — ou plutôt de voiles et de poignard.

L’équipe a pu tourner en Algérie  dans de véritables sites historiques – palais, mosquées – plutôt qu’en studio dans un autre pays – afin  de mettre en valeur la richesse de ce qu’il reste du patrimoine algérien – et la beauté des paysages.

Et ce grâce à un budget substantiel obtenu notamment grâce au soutien du fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique (équivalent du CNC). « La Dernière Reine » est malheureusement un des derniers film à avoir bénéficié de cette aide car le dispositif (lancé cinq ans après l’indépendance du pays) vient d’être dissous.

Les soies du harem 

On retrouve, à voir sans cesse tourbillonner les glaives ou les voiles brodés de fil d’or – le  plaisir enfantin des grands films d’aventure très pittoresques et parfois un peu naïfs. Cette tragédie en cinq actes – assez classique dans sa narration tout comme dans sa réalisation – surprend malgré tout grâce à la modernité des trois personnages féminins…

Zaphira bien sur, mais aussi la première femme du roi défunt, qui se révèle fine stratège politique et courageuse guerrière et surtout cette étonnante apparition dans la dernière partie du film : Astrid, la maitresse scandinave de Barberousse (incarnée par la très en vogue Nadia Tereszkiewicz) ancienne esclave émancipée, aventurière et maitresse du pirate… qui en fait sa messagère.

La grande originalité de ce film réside dans ce  surprenant trio de personnages féminins qu’apparemment tout oppose et qui pourtant vont avoir l’intelligence de tisser de subtiles complicités quasi « sororales », par solidarité contre la brutalité du pouvoir des mâles (pas blancs, plutôt basanés pour le coup !).

Le film joue constamment de la juxtaposition de deux univers plastiques opposés, de décors antagonistes : celui de l’intérieur des palais, du harem ou les femmes prisonnières et rivales se meuvent dans des jardins luxuriants et celui  des hommes – à l’extérieur dans les superbes paysages de la côte algéroise –  qui  tour à tour se massacrent, ou font alliance… pour mieux s’égorger ensuite.

« Pour nous, il répondait à une urgence et un désir de cinéma. Une nécessité politique et poétique, pour l’Algérie mais aussi pour le monde. Il y a eu et il y a encore en Algérie des moyens énormes pour faire des films et des statues de glorification de héros nationaux. En résulte des œuvres qui sont en majorité écrasantes, masculines, et surtout où les héros sont déshumanisés à force de vouloir en faire des héros consensuels. Les seules et rares femmes dont on parle sont celles à qui on reconnait des faits d’armes. Zaphira au milieu de tout cela était dissonante, sensuelle et surtout pas consensuelle. Pour le reste du monde cela permettait de dévoiler au cinéma une  autre facette de notre pays…

La Nation algérienne, un passé fastueux

C’est chose faite : avec une belle ampleur romanesque, où l’éclat du classicisme côtoie, parfois dans la même scène, le même plan, la modernité la plus aiguisée, « La Dernière Reine » est bien plus qu’un film historique, il  entre en résonance profonde avec ce qui se joue actuellement en Algérie, et leurs héroïnes –  Zaphira – épaulée par les deux autres personnages féminins  –  clament leurs réponses, haut et fort – à tous ceux qui  prétendent  encore considérer les femmes comme des « prises de guerre »  ou les invisibiliser,  tout comme à ceux  qui s’obstinent à nier l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation.

Car si le film exhume de l’oubli une  séduisante reine de légende, il rend aussi hommage au passé fastueux et raffiné de la nation algérienne.