Entre l’Algérie et le Maroc, la bataille du Raï bat son plein

26/06/2021 – Nicolas Beau

Le raï est-il algérien ou algéro-marocain ? Les deux voisins fâchés se battent pour inscrire ce genre musical patrimoine immatériel mondial à l’UNESCO.
Vous vous souvenez de la guerre du couscous à l’UNESCO? Après s’être disputés comme des chiffonniers, la Tunisie, l’Algérie, et le Maroc, ont été contraints de s’unir pour inscrire le couscous, spécialité culinaire d’Afrique du Nord, au patrimoine mondial de L’UNESCO.
Aujourd’hui l’Algérie et le Maroc se disputent la paternité du raï, le genre musical né dans les plaines de l’ouest algérien sans frontières. 
Ce qui alimente le feuilleton sur les rivalités des deux voisins fâchés, avec des épisodes cocasses. 
ENTRE OUJDA OU ORAN, CAMARADE, CHOISIS TON CAMP. 
Il faut voir comment les autorités algériennes qui ont longtemps censuré le raï, défendre ce genre musical qui n’a connu son apogée mondiale qu’à travers son ex-filtration en France. Il fallait entendre la ministre de la Culture de la Nouvelle Algérie officielle exprimer son intention de déposer un dossier à l’UNESCO pour classer le « raï, chant populaire algérien ». 
Et il faut imaginer la réponse marocaine, alors que l’institution de l’ONU est dirigée par la franco-marocaine Audrey Azoulay.  
Le Maroc qui rappelle à chaque fois que possible que la majorité des grands auteurs de textes du répertoire raï sont marocains a lui aussi déposé, à travers les organisateurs du Festival international du raï d’Oujda, ville marocaine à la frontière algérienne, une demande de voir ce «chant populaire marocain» classé au patrimoine mondial. 
Officiellement Rabat ne répond pas aux demandes exprimées par le Festival d’Oujda, mais la presse marocaine proche du Palais ne cesse de rappeler que le genre est « moughrabi »: «Ce mode musical traditionnel existait au Maroc, précisément à l’est marocain, avant même la création de l’Algérie par le colon français», attaque le site d’infos marocain Le360
PATRIMOINE PARTAGÉ ET FRONTIÈRES FERMÉES. 
De son côté le quotidien algérois El-Watan, invite un vétéran du raï, le musicien trompettiste Messouad Bellemou, à donner son avis : « La mémoire commune des deux côtés de la frontière retient que chacun des pays avait une tradition de chanson populaire paillarde. De notre côté de la frontière, en Oranie, c’est le raï. De l’autre, c’est la aïta dont la plus illustre représentante vient de décéder, l’immense Haja Hamdaouia ». 
S’il reconnait à demi-mot que le genre est algérien, le musicien tente surtout de trouver un compromis. Ce n’est pas le cas du journaliste qui l’interviewe et qui est l’auteur d’un éditorial sentencieux publié dans l’édition du 11 avril 2021: «  Le président de l’association organisatrice du Festival de raï d’Oujda déclare avoir formulé auprès de l’Unesco une demande en vue d’inscrire le raï en tant que chant populaire marocain. Comment une association pouvait-elle engager une démarche qui relève des prérogatives des seuls états membres de l’Unesco ? Comment le makhzen a-t-il laissé commettre une action aussi inamicale vis-à-vis de l’Algérie d’une part et d’autre part de permettre à une association de piétiner ses plates-bandes ? Il faut être naïf pour croire à la sincérité de cette mise en scène, d’autant qu’elle s’inscrit en droite ligne du décret royal du 20 août 2013, accordant la nationalité marocaine à Khaled. C’est que la star du raï ainsi que le raï pèsent en matière d’image de marque à l’étranger ».
DO THE RAÏ THING 
La guerre du raï entre Le Maroc et l’Algérie fait rage, puisse-t-elle ne pas faire de victimes ! Mariée à une marocaine et installé au Maroc, le king du raï, Cheb Khaled l’Algérien tente péniblement de ne pas prendre part à la polémique qui ne cesse d’enfler entre les deux pays. Il sait que quoi qu’il dise, ça lui sera reproché par les uns ou par les autres. Combien de temps tiendra-t-il ?
Même la diaspora maghrébine en France est sommée de choisir son camp. « Comment distinguer un chanteur du sud de la Belgique d’un autre qui viendrait du nord de la France ? », élude le critique musical marocain Nidam Abdi sur le plateau de France 24. 
Quand Chebba Fadéla chantait dans les années 80 « El Whisky Gawri ou El Berra arbiya » ( Le Whisky est Français, la Bière est arabe) c’était drôle et fun. Aujourd’hui la question d’inscrire le raï à l’Unesco, sur fond de chicaneries algéro-marocaines qui semblent n’en plus finir,  ce n’est ni fun, ni drôle. Ni pour les deux pays, ni pour le raï. 
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