Un superbe portrait du commandant Mira,« le tigre de la Soummam ».

17/10/2025 – La redaction de Mondafrique

La biographie Un destin brisé que Tarik Mira consacre à son père s’impose dès les premières pages comme une œuvre à la fois intime et politique, dont l’impact dépasse le cadre biographique puisqu’il touche à l’histoire de la guerre d’Algérie.

Tarik Mira « Abderrahmane Mira un destin brisé », 202 pages, mai 2025, éditions Tafat, Alger.

Kader A. Abderrahim

La biographie écrite par le fils, Tarik, du commandant Mira est une contribution précieuse à l’histoire de l’Algérie. Dans son avant-propos Tarik Mira écrit, lucide, « écrire sur son père (…) nécessite d’être humble et perspicace il faut être sobre car les excès sont nocifs à la vérité ». La raison et la conviction sont la marque de cet ouvrage qui nous transmet un fragment de l’histoire de la guerre d’Algérie, à travers Abderrahmane Mira surnommé par les populations locales et les militaires français « le tigre de la Soummam ».

Dès 1954 Mira établit un lien avec Krim Belkacem. En août 1956, Abderrahmane Mira est chargé d’assurer la sécurité du congrès de la Soummam qui est le premier congrès du FLN. En mars 1959 Mira est désigné pour assurer l’intérim, à la tête de la wilaya III, du colonel Amirouche qui se trouve en Tunisie. Dès son arrivée au PC de la wilaya III fin mars 1959, alors que le GPRA l’envoie pour enquêter sur la bleuite, (opération d’intoxication et de manipulation des services spéciaux de l’armée française), il condamne l’usage de la torture et procède à l’élargissement d’une soixantaine de combattants injustement poursuivis. Reste une énigme que Tarik Mira évoque en fin d’ouvrage : où se trouve le corps, jamais retrouvé, du commandant Mira ?

En retraçant le parcours de son père, figure emblématique de la guerre de libération de l’Algérie, Tarik Mira, fils du colonel Mira, ne se contente pas de raconter une mémoire familiale : il interroge les silences de l’histoire officielle, les zones d’ombre de la lutte armée, et les contradictions d’un récit national souvent figé. Ce livre expose avec clarté la dimension humaine complexe des figures qui incarnent la révolution. Loin de l’hagiographie, l’auteur adopte une posture d’enquêteur lucide, croisant les archives, les témoignages, les récits oraux, pour restituer un homme entier, traversé par ses doutes, ses colères, ses fidélités et ses ruptures. L’apport du livre est double : d’abord, il enrichit la mémoire collective algérienne en redonnant voix à un acteur méconnu ou marginalisé de la guerre, en particulier dans la région kabyle. Enfin, il trace un chemin littéraire particulier, fondé sur une démarche rigoureuse et un regard authentique sur l’histoire. En cela, Tarik Mira contribue à une forme de décolonisation du récit, en refusant les simplifications et en réintroduisant la pluralité des trajectoires des combattants pour la libération de l’Algérie. 

Le pédagogue devenu héros du maquis

Dans les ruelles paisibles d’Akbou, les anciens prononcent encore son nom avec émotion : le Commandant Mira. Derrière ce nom devenu symbole, se cache le parcours d’un homme discret et profondément attaché à son pays. Arezki Mira, devenu chef militaire, fait partie de ces figures de la Révolution algérienne dont la rigueur et le courage ont marqué la mémoire collective.

Né vers 1927 dans la vallée de la Soummam, au cœur d’une Kabylie encore sous le joug colonial, Arezki Mira grandit dans une famille modeste. Le jeune Mira, témoin des injustices et des humiliations du système colonial, comprend vite que l’engagement pour libérer son peuple est un devoir. Les massacres du 8 mai 1945 et la répression des mouvements nationalistes scellent son engagement.

Lorsque le 1er novembre 1954, les premiers coups de feu de l’insurrection éclatent, Arezki Mira rejoint sans hésitation les rangs du Front de Libération Nationale (FLN).
Dans la Wilaya III historique, sous le commandement du colonel Amirouche, il met son sens de l’organisation et son esprit méthodique au service de la lutte armée. Son intelligence et sa droiture lui valent rapidement le respect de ses pairs. Promu commandant, Mira dirige un vaste secteur autour d’Akbou, Seddouk et Tazmalt.
Il se distingue par sa capacité à unir les maquisards, à instruire les jeunes recrues et à maintenir la discipline dans des conditions extrêmes.

Chef respecté et homme de principes

Contrairement à certains chefs de guerre portés sur la brutalité, Mira reste fidèle à sa nature d’éducateur. Il insiste sur la formation politique et morale des combattants, rappelant sans cesse que « la Révolution ne se gagne pas seulement avec les armes, mais avec les consciences et les cœurs ». Ses compagnons le décrivent comme un homme calme, réfléchi et profondément humain. Il veille à protéger les civils et à éviter les représailles aveugles, convaincu que la population est le cœur de la Révolution.
En 1959, alors que l’armée française intensifie ses opérations en Kabylie, le maquis de la Soummam est encerclé. Lors d’un affrontement dans la région de Seddouk, le Commandant Mira est tué au combat. Il avait 32 ans. Sa mort survient quelques mois après celle du colonel Amirouche — deux pertes qui plongent la Wilaya III dans le deuil mais renforcent la détermination des maquisards.

Dépasser les divisions

L’impact du livre se manifeste également par l’émotion qu’il génère : il touche autant les lecteurs algériens en quête de vérité que ceux, à l’étranger, qui cherchent à mieux comprendre l’histoire dans toute sa complexité. Ce n’est pas seulement un hommage rendu à un père, mais aussi une véritable tentative de réconciliation entre le passé douloureux et la nécessité d’en tirer des leçons pour l’avenir. Par ce récit, Tarik Mira invite à dépasser les divisions, à reconnaître les nuances de l’Histoire, et à renouer avec une mémoire partagée, porteuse d’espoir et de compréhension mutuelle. Dans un contexte où les figures de la guerre sont souvent instrumentalisées ou figées, Un destin brisé redonne à Abderrahmane Mira sa dimension humaine, tragique, et profondément politique. 
Ce livre ne prétend pas refermer définitivement les plaies profondes du passé, mais il a le mérite de les exposer avec dignité et respect. En dévoilant ces blessures, il invite le lecteur à mieux comprendre ce que signifie réellement hériter d’un combat, avec tout ce que cela implique en termes de sacrifices, de douleurs, et de responsabilités. C’est une réflexion sur le poids de cette transmission et sur le coût humain souvent invisible derrière les grandes luttes historiques.