Une mémoire franco-algérienne sur les lendemains de l’Indépendance

24/05/2025 – La redaction de Mondafrique

Jean-Louis Jouannault livre un témoignage personnel et lucide sur l’Algérie post-indépendance. Entre souvenirs de coopération, ouverture culturelle et cicatrices de la guerre civile, ce récit éclaire une période peu explorée de l’histoire franco-algérienne.

Certains ouvrages ne prétendent pas faire l’histoire, mais la rendent soudain tangible. Salam aleykum Algérie !, publié en mars 2024 aux éditions Les Trois Colonnes, s’inscrit dans cette lignée. Jean-Louis Jouannault, ancien coopérant français, y déroule un récit personnel d’une rare justesse sur l’Algérie post-1962. Porté par une écriture sobre et un regard sans illusions, ce témoignage jette une lumière neuve sur les premières décennies qui ont suivi l’indépendance, loin des discours officiels ou des grilles idéologiques figées.

Dès le titre, une intention se dessine, celle d’adresser un salut, de renouer un lien. L’auteur revient sur les premières années de la coopération franco-algérienne, lorsque des milliers de jeunes Français, enseignants, ingénieurs, médecins, s’engagèrent au service d’un pays en reconstruction. Ce que Jouannault restitue, ce n’est pas une page glorieuse, mais une expérience de terrain, faite de rencontres imprévues, de malentendus aussi. Sans naïveté, il décrit une époque où l’Algérie s’ouvrait, dans l’espoir d’un avenir souverain et moderne.

Le cœur du récit se déploie dans l’Algérie des années 1970, alors traversée par une énergie singulière. Loin d’un récit figé dans les institutions ou les bilans économiques, Jouannault évoque l’évolution des mentalités, les goûts musicaux, la mode, l’éducation, les débats sur la place des femmes. Une Algérie vivante, curieuse, parfois contradictoire, mais résolument tournée vers l’avenir. Le regard qu’il porte sur cette société en mutation n’est ni exotique ni condescendant ; il est attentif, précis, respectueux. Ce qui ressort, c’est une volonté de comprendre, et surtout de transmettre une mémoire que peu ont su raconter.

Les années noires

Mais cette mémoire, justement, ne se limite pas aux années d’élan. L’auteur aborde aussi la période sombre des années 1990, cette décennie de guerre civile qui a meurtri le pays et traumatisé une génération. Il ne s’agit pas ici d’un exposé analytique, mais d’une évocation sobre et digne, nourrie de récits indirects, de lettres reçues, d’amis perdus de vue ou de silences devenus trop lourds. On sent chez lui une retenue sincère, une douleur qui refuse le pathos mais ne cherche pas non plus à se dissimuler.

Le dernier tiers du livre s’ouvre sur un retour, celui de l’auteur en Algérie, en 2023. Plus qu’un simple voyage, ce retour agit comme une mise en perspective. Que reste-t-il des promesses de l’indépendance, des projets de la jeunesse algérienne des années 70, de ces ponts lancés entre les deux rives de la Méditerranée ? Jouannault n’apporte pas de réponse définitive, mais livre des impressions, observe les visages, les rues, les mots échangés avec les jeunes d’aujourd’hui. Ce retour n’a rien de nostalgique, il est lucide, parfois amer, souvent ému. Ce qu’il retrouve n’est pas forcément ce qu’il avait laissé, mais quelque chose subsiste, un lien.

Ce qui distingue véritablement ce récit d’un témoignage ordinaire, c’est son refus de la simplification. L’auteur ne cherche ni à réhabiliter le passé, ni à le condamner. Il se tient à égale distance de la repentance comme de l’arrogance postcoloniale. Ce qu’il propose, c’est une lecture humaine. Il ne cherche pas à trancher, mais à comprendre ; non à clore le débat, mais à le nourrir. L’humour, parfois discret, allège le propos sans jamais le détourner de son exigence. Il ne s’agit pas d’écrire l’histoire, mais de rendre compte de ce qu’on a vu, de ce qu’on a cru, de ce qui a été possible.

La force de Salam aleykum Algérie ! réside aussi dans ce qu’il révèle entre les lignes. Les relations franco-algériennes ne se résument pas aux déclarations politiques ou aux bilans diplomatiques. Elles ont aussi été faites de visages, d’écoles ouvertes, de discussions sous les arbres. En redonnant chair à cette réalité oubliée, Jouannault inscrit son livre dans un espace de mémoire transnationale, où l’histoire n’est pas un contentieux, mais un chantier.

Ce récit parlera à ceux qui ont vécu ces années, mais aussi à tous ceux qui, aujourd’hui, cherchent à comprendre les liens, complexes et parfois douloureux, entre la France et l’Algérie. Sans didactisme, avec une honnêteté rare, il donne à voir une période trop souvent reléguée à l’ombre.

Salam aleykum Algérie ! de Jean-Louis Jouannault aux éditions Les Trois Colonnes.  Mars 2024. Broché- 178 pages. 16,50 € (papier), 10,99 € (e-book).