Le grand philosophe et citoyen du monde Edgar Morin devait évoquer « une force chamanique, une sorte d’hypnose » en découvrant l’art calligraphique et pictural de Mehdi Qotbi, cet éternel jeune homme de 73 ans. La rétrospective de ses oeuvres à l’IMA met en effet en lumière l’espace de dialogue entre les cultures et les imaginaires que représentent l’oeuvre du peintre, irriguée, magnifiée par une vie partagée entre la France et le Maroc. Influencé par les traditions marocaines et les courants d’art européens, Qotbi invente une «désécriture», un nouveau langage où fusionnent les lettres et les signes arabes.
Philippe Dagen, le critique virtuose du quotidien « le Monde », observe que l’art de Mehdi Qotbi« s’offre et se dérobe. S’offre à la délectation chromatique. Se dérobe à l’interprétation critique. Elle se laisse admirer et ne se laisse pas saisir. » Proche de l’artiste Jean-Paul Albinet avec qui il étudie à Toulouse, puis du lettrisme d’Isidore Isou et de Jacques Spacagna, l’artiste boulimique affiche son admiration pour Claude Monet, pour Paul Klee ou Joan Mitchell.
L’ascenseur social !
Né en 1951 à Rabat, Mehdi Qotbi connaît une enfance modeste marquée par des conditions de vie difficiles qui forgent sa résilience et son optimisme. Dès son adolescence, il développe une passion pour la peinture. En 1967, il intègre les Beaux-Arts de Rabat, où sa rencontre avec Jilali Gharbaoui, pionnier de l’abstraction au Maroc, est déterminante.
En 1969, Mehdi Qotbi quitte le Maroc pour la France, où il obtient son diplôme des Beaux-Arts à Toulouse en 1972, avant de poursuivre ses études à Paris. Entre 1973 et 2007, ce boulimique enseigne les arts plastiques dans un modeste collège privé parisien, où il sera le professeur de dessin des enfants de François Fillon, tout en poursuivant sa carrière artistique et en mettant un orteil, puis un pied, dans le monde politique. Si ce n’est un secret pour personne que Mohamed VI apprécie la compagnie de cette boule de vie, d’humour et d’empathie qu’est Mehdi Qotbi, ce dernier connait les codes du sérail marocain et s’est toujours gardé de jouer « les ambassadeurs bis »..
Mehdi Qotbi, le passeur
Comme les peintres américains Jackson Pollock et Marc Tobey, avec lesquels il partage l’amour des motifs all-over et les compositions libres, Qotbi privilégie un langage visuel plus intuitif où l’écriture se métamorphose. De façon impressionnante, la vie de ce séducteur né est jalonnée d’amitiés et de rencontres avec de nombreux écrivains, artistes, critiques. Ses « Rencontres écrites » agrègent les textes aux œuvres. À l’image des points de broderies des tapis tissés par sa mère aimée qui ne savait ni lire, ni écrire, le peintre noue des liens créatifs avec Aimé Césaire, Andrée Chedid, Jacques Derrida et combien d’autres… »Ce qui le préoccupe, explique le romancier Abdelkébir Khatibi, c’est de transformer la lettre en image, image qui soit visible pour tous. C’est pourquoi sa peinture est à interpréter entre deux lectures: celle des arabophones et celle des autres ». À savoir les francophones.
L’ami Qotbi
C’est peu de dire que ce passeur d’images n’aime rien tant que de provoquer des rencontres improbables. Son carnet d’adresses est légendaire. L’ami Qotbi a pu aussi bien nouer une relation confiante avec l’ancien ministre des Affaires Étrangères et amoureux du Maroc qu’était le regretté Michel Jobert qu’organiser un déjeuner, voici un an et en pleine crise entre les deux pays, avec Hubert Vedrine et Dominique de Villepin, pour oeuvrer en faveur d’une réconciliation.
Patron de l’IMA et inconditionnel du peintre, qu’il a connu dès l’arrivée de la gauche française au pouvoir en 1981 et alors que la méfiance dominait les relations entre Mitterrand et Hassan II, Jack Lang a déroulé le tapis rouge pour cet accrochage qui devrait durer quatre mois, une belle et rare opportunité. « Si Mehdi Qotbi fait danser son pinceau, chorégraphiant à merveille les graphèmes et réinventant le langage, écrit le patron de l’IMA, il est surtout un maître incontesté des couleurs. Universaliste convaincu, ambassadeur culturel de la relation franco marocaine, il érige des ponts d’amitié et sensibles entre les continents (…) dans une conversation féconde avec les deux rives de la Méditerranée ».
La diplomatie artistique
Cette ardente obligation d’être un passeur entre le Nord et le Sud hante Mehdi Qotbi depuis toujours. Un pinceau dans une main et un téléphone dans l’autre, l’artiste réconcilie la tradition et la modernité. Lorsque Mohammed VI avait accompagné en juin 2017 le président français, Emmanuel Macron, au Palais royal pour des discussions en tête à tête lors de son premier voyage au Royaume chérifien, la première dame de la France, Brigitte Macron, vètue d’une élégante robe blanche, avait préféré visiter l’exposition « Face à Picasso » au Musée d’art moderne et contemporain de Rabat.
Brigitte Macron qui a été accueillie lors de cette visite par Lalla Salma, épouse du souverain chérifien, a fait plus ample connaissance avec la princesse et a profité d’une exposition des œuvres de Picasso essentiellement en provenance des musées parisiens. Les deux dames, qui très complices, ont terminé la visite à l’écoutees commentaires inspirés de Mehdi Qotbi, l’infatigable guetteur entre Paris et Rabat qui est devenu, voici dix ans, le patron des musées marocains. Sa« diplomatie artistique » semble très appréciée à la fois par le monarque alaouite et ses invités qui passent par Rabat.
Ces derniers jours, Brigitte Macron est venue en personne admirer l’exposition de l’ami Qotbi. Le peintre sait frapper aux bonnes portes, mais jamais par effraction, toujours porté par ces coups de coeur qui ont contribué à leur juste place à la réconciliation de cet automne entre la France et le Maroc.