L’ultime recours reste l’Organisation des Nations Unies

04/11/2024 – La rédaction de Mondafrique

Que Trump soit élu ou pas,  l’ingérence en Ukraine, au Liban ou à Gaza reste une plante invasive. Il est plus urgent que jamais de réformer l’ONU qui est pour l’instant en danger de mort cérébrale mais qui peut constituer, en état de marche, l’ultime facteur d’équilibre du monde », comme l’explique notre chroniqueur Xavier Houzel, dans l’entretien qu’il a donné à Joelle Hazard,.  

1°) le 5 novembre 2024 – jour fatidique des élections présidentielles américaines- sera considéré par les Historiens comme une date charnière, d’un avis général . Quels points de rupture devraient apparaître alors, selon vous, dans les affaires du monde ?

Le monde est tétanisé, figé dans l’attente des résultats du vote américain, comme avant l’arrivée d’un météore dont le cratère d’impact sur la terre n’est pas imaginable. N’étant ni Nostradamus, ni l’exégète de la Kabbale, ni Baba Vanga, je ne vous prédis pas la « fin du monde » mais le début de la fin du monde que nous avons connu. Le changement climatique est le signe avant-coureur de la métamorphose ; les êtres ne sont plus les mêmes ! On les dirait victimes de troubles du comportement : les jeunes ne lisent plus, les vieux ne meurent plus et les oiseaux se taisent. En France, en politique, la gauche radicale du wokisme le dispute à la droite pot-au feu dite extrême, dans l’attente d’un « changement de plateau ». La période est transitoire. Le président de la République lui-même est emporté par un mouvement curviligne qui le rend imprévisible ! On ne sait plus s’il est génial ou innocent ! Ce qui veut dire que le deuxième quart du XXIème siècle sera méconnaissable, complètement différent du précédent!

Avec le triomphe de l’Intelligence Artificielle (l’IA) présentée comme la conquête ultime de l’homo deuset si rien n’était fait pour nous en protéger – nous courrons à la destruction de soi matérielle et morale, à la robotisation des gestes (mêmes les plus intimes) et à l’uniformisation des contours, à la dictature technologique, au despotisme démocratique, à la démondialisation (au détricotage des liens), au réflexe puis au vertige identitaires, à l’accroissement des inégalités, au chômage endémique, à la pauvreté monétaire, à l’indigence alimentaire, au nomadisme planétaire, au désastre civilisationnel, à l’effondrement culturel, aux dérives sectaires, à l’affalement des religions, à l’anamorphose des genres, aux dépressions souriantes, à la dénatalité, à la dépopulation, au vieillissement démographique, aux disparitions en chaînes de plantes et d’espèces, aux catastrophes naturelles, à la multiplication des pandémies, à l’addiction à la drogue et à l’idéation suicidaire … et à la multiplication des guerres. In fine, à l’autodestruction. Et je suis bien optimiste en vous autorisant ce gymkhana avec passage par toutes les cases, car tout pourrait aller beaucoup plus vite encore avec un antéchrist qui voudrait tuer l’âme en l’homme, pour commencer !

Le facteur d’équilibre du monde, c’est-à-dire le point de rupture qu’il faudrait réformer, reste l’Organisation des Nations Unies (l’ONU), en danger de disparition. Il faut élargir l’assiette de son Conseil de sécurité et en réformer le fonctionnement, en particulier l’usage du veto et la manipulation des sanctions internationales. Il est grand temps de le faire, si c’est encore négociable.

2°) Vous attribuez implicitement aux États-Unis la responsabilité de la situation actuelle non seulement en Ukraine mais aussi à Gaza ? Pouvez-vous être plus précis?

La responsabilité des USA est entière. Tout le monde en convient mais personne n’ose le dire. Si Washington n’avait pas systématiquement opposé son veto aux propositions de résolutions sur la question palestinienne présentées en vain au Conseil de sécurité les unes après les autres, il y a belle lurette que l’affaire de Gaza aurait été réglée. Respectivement, si Moscou ne s’était pas senti autorisé à en faire autant lors de son annexion de la Crimée puis des provinces du Donbass, nous n’en serions pas là non plus. De même qu’il nous faut considérer l’ingérence comme une plante invasive et l’interdire, il nous faut observer l’ONU comme un traitement médical, une cure permanente, une pratique et s’y astreindre.

À défaut, certaines décisions majeures d’encadrement et de contrôle, qui devraient être prises par la Communauté Internationale sur les thèmes de la prolifération de l’arme nucléaire et d’autres innovations aussi prometteuses et dangereuses que l’IA, ne le seront jamais. À titre d’illustration des dérèglements auxquels il faudrait autrement s’attendre de plus en plus, l’affaire de Gaza offre un  exemple probant : sans que l’on puisse rien y faire, un groupe politique, qui ne représente que 10% des voix d’un pays de 8, 712.000 d’habitants seulement (l’État d’Israël abrite un millième de la population mondiale, qui est de 8 milliards en 2024), est parvenu avec l’appui des seuls suffrages de 12 des 120 députés de son parlement, à bloquer pendant plus d’un an par USA interposés le fameux machin qu’est l’ONU et que peuvent être des institutions comme l’UNRWA pourtant indispensables) !

3°) Israël ne dispose pas de veto aux Nations Unies…

Mais on est fondé à s’interroger pour savoir qui est le proxy de qui ! Tout cela est du pipeau et mérite d’être changé… Ou bien alors : « que vogue la galère des BRICS ! », avec son train de complications et les séquelles qu’on imagine ! J’en viens à rendre grâce au Sud-Global et ses grands émergents, le Brésil, la Chine, l’Inde … sans lesquels le monde irait aujourd’hui à sa perte sans béquille ! Car si la réforme de l’Organisations des Nations Unies finissait par se faire enfin, ce serait grâce à eux.

4°) Réformer l’ONU, ce serait la seule solution pour sauver la cohérence du monde, vous avez raison. Mais c’est une entreprise considérable qui n’est pas réalisable dans des délais requis pour enrayer un double conflit, l’un en Europe du Nord et l’autre au Moyen-Orient, avec de part et d’autre, le risque imminent d’une extension voire d’une généralisation de la guerre. Que suggérez-vous ?

Vous connaissez le proverbe selon lequel « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »[i]. Cette porte a le mérite d’être grande ouverte (le besoin d’une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU fait l’unanimité à l’exception de l’Amérique et de son protégé). C’est pourquoi je pense qu’à l’instant de l’élection d’un nouveau président américain et alors même que l’humanité  est assise sur une bombe (i.e. le double risque du schisme de Kazan[ii] et d’une guerre mondiale d’une part et le bal de Satan des technologies nouvelles d’autre part), il n’y a pas le choix ! Aussi, j’interpelle le ministre Français de l’Europe et des Affaires Étrangères, monsieur Jean-Noël Barrot, en l’implorant de proposer sans tarder une résolution visant à amender en conséquence la Charte des Nations Unies. Sans ce préalable indispensable, aucune solution satisfaisante ne pourra être apportée, ni à Gaza, ni au Sud-Liban, ni en Ukraine, ni, demain, en Mer de Chine

5°) Pourquoi cette réforme de l’ONU aujourd’hui plutôt qu’hier ou que demain ?

Parce qu’encore une fois, toute tentative de ce genre était illusoire jusqu’alors. Et pourquoi faut-il agir maintenant ? Parce que le président Biden est encore aux commandes pour deux mois et qu’il n‘a pas mieux à faire devant l’Histoire que de régler tous les problèmes en un. Il est urgent de ne pas laisser de Nord-Coréens tirer un coup de fusil sur le sol de l’Europe. L’Ukraine et la Russie sont épuisées : il faut leur sauver la face (l’ONU a ce pouvoir). L’armée israélienne – Tsahal – est au pied du mur au Liban et ses généraux savent qu’il leur faut s’arrêter… parce que le Hezbollah est une autre paire de manches et que le Liban est un État souverain.

Parce que le Hezbollah interrompra ses tirs de drones et de missiles à la minute à laquelle le cessez-le-feu à Gaza sera acquis. Parce qu’il s’agit de forcer la main du gouvernement Netanyahou. Parce que la guerre de l’information tourne au désavantage de ce dernier. Parce que l’antisémitisme se répand partout comme une gangrène. Parce qu’Israël a atteint la limite de ses moyens – OUI, la limite de ses moyens. Parce que l’Égypte est exsangue. Parce que toute escalade supplémentaire dans la tension contre l’Iran est à proscrire sous peine de réveiller un géant. Parce que la Jordanie n’a aucune envie ni d’être dépecée et partagée goulument entre l’Arabie saoudite et un État Israélien gonflé de ses dépouilles. Parce qu’il n’est pas évident du tout qu’un Trump président soit aussi favorable demain à la boulimie colonisatrice des Ultra-orthodoxes que le Trump candidat l’aura été par commodité jusqu’à présent. Idem pour une Kamala Harris présidente : plus de ticket électoral et pas d’excuses alambiquées ! Parce que les monarchies Arabes ne sont plus d’humeur à cajoler l’État Hébreu au prix de l’aliénation de leurs opinions publiques et parce qu’il faut préserver les Accords d’Abraham moribonds et les sauver in extremis. Parce qu’il faut épargner aux Israéliens l’opprobre des condamnations, la honte du génocide. Enfin, parce que, pour la première fois depuis 20 ans (depuis la prise de pouvoir présidentiel de Mahmoud Abbas en 2005), les Palestiniens sont unis et en mesure de présenter une solution consensuelle aux problèmes de l’après-Gaza. Parce qu’il est facile de faire la Paix, maintenant que les conditions en sont réunies.

6°) C’est vite dit ! Mahmoud Abbas a refusé de donner sa caution à la réconciliation que Moscou, Ankara, Pékin et Le Caire ont tenté les uns après les autres mais en vain de négocier entre le Hamas et le Fatah ; Surmonter les dissensions légendaires entre les factions palestiniennes parait improbable …sans compter que les feddayines ont été décimés et que l’heure n’est pas à la reconstruction…

Ce n’est pas « vite dit » du tout ! Depuis la mort d’Ismaël Haniyeh, le 30 juillet 2024, l’un des membres éminents du Bureau politique du Hamas, Husam Badran, multiplie les contacts tête-à-tête avec les représentants du Fatah, en particulier Azzam al-Ahmad, membre du Conseil législatif palestinien, et Mahmoud Alloul, vice-président de l’Autorité Palestinienne. À l’ordre du jour de leurs discussions : la gestion commune de Gaza et des territoires palestiniens. En septembre dernier, le bureau politique du Hamas a rencontré le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas dit Abu Mazen, à Doha, où ils sont convenus de former un gouvernement Palestinien d’unité nationale et un sous-comité d’administration de Gaza. Puis, les parties se sont rencontrées à nouveau au Caire, où le Hamas a accepté de se mettre en retrait afin de conjurer, en se marginalisant, le danger d’une séparation entre les territoires de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Le président de l’Autorité Palestinienne se prépare à publier un décret créant l’Autorité de Gaza (ledit Comité) ! Il ne vous a pas échappé, par ailleurs, que le Prince Fayçal bin Farhan bin Abdullah, ministre des Affaires étrangères, a inauguré à Riyad, le 30 octobre dernier, la première réunion de l’Alliance internationale pour la mise en œuvre d’une solution à deux États, tant attendue et annoncée par le Royaume, le mois dernier ! L’ancien président Bill Clinton a longuement épilogué sur le sujet[iii], il y a 48 heures, en blâmant Yasser Arafat de n’avoir pas accepté en son temps un ajustement de frontières, avec un abandon de 4% du territoire alloué qui eût alors permis une solution à deux États.  Mais la question telle qu’il l’exposait est obsolète : le problème des frontières est désormais caduque, parce qu’il est impossible à résoudre. Il s’agit d’accepter de vivre ensemble, pas d’être parqué. À l’heure des drones, des GAFAM et de l’IA, c’est être rétrograde que de continuer de raisonner comme à l’époque du Traité de Berlin. Il s’agit d’interdire dorénavant l’apartheid mais pas les différences. Les Accords d’Abraham sont illustration de cette évolution des mentalités et des réalités. L’Espace Schengen en est une autre. Bref, c’est à prendre ou à laisser : soit les Accords d’Abraham sont morts et l’antisémitisme galopera de plus belle et pour longtemps, soit ils pourront revivre et s’étendre à la Péninsule toute entière et les colons pourront alors s’y esbaudir et les Palestiniens avec.

[i]  NDLR : Un proverbe d’Alfred de Musset en un acte publié en 1845 dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1845. Cette pièce fut jouée pour la première fois en 1848.

[ii] https://www.iris-france.org/189584-sommet-des-brics-a-kazan-quelle-orientation-pour-la-politique-etrangere-russe/

[iii] https://fr.timesofisrael.com/clinton-les-kibboutznikkim-massacres-le-7-octobre-soutenaient-la-cause-palestinienne/