Tyr et Baalbeck, joyaux antiques, tremblent sous les bombes.

Rédigé le 09/11/2024
La rédaction de Mondafrique

Tyr et Baalbeck, joyaux du patrimoine libanais, sont confrontés à une menace existentielle face aux bombardements incessants. Alors que les frappes aériennes mettent en péril ces merveilles antiques, le silence assourdissant des autorités soulève des questions urgentes. Ces trésors vont-ils s’effondrer ou une action rapide pourra-t-elle les sauver de la destruction ?

Belinda Ibrahim

Les récentes frappes israéliennes à proximité de ces sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco menacent un héritage culturel inestimable. Un ordre d’évacuation vient d’être donné à Baalbeck, présageant des frappes israéliennes aux conséquences imprévisibles sur le site. Ce genre de cycle semble ne pas devoir s’arrêter, mettant en péril le patrimoine libanais où qu’il se trouve. En novembre 2023, la décision du ministre libanais de la Culture de retirer le « Bouclier bleu » qui protégeait Baalbeck avait déjà suscité de vives inquiétudes. Après la frappe de lundi, rien n’a été fait. Malgré l’urgence de la situation et les dommages déjà constatés, le ministre de la Culture reste étonnamment muet. Face à ce silence assourdissant, les questions se bousculent : quelles mesures compte-t-il prendre pour protéger ces trésors?

Fondée il y a près de 5000 ans, Tyr est un concentré d’histoire qui a traversé les âges. Berceau de la civilisation phénicienne, la ville a connu son apogée au Xe siècle av. J.-C., essaimant ses colonies jusqu’à Carthage.  Alexandre le Grand en modifia à jamais la géographie en 332 av. J.-C. en la reliant au continent lors d’un siège épique. Puis Rome y laissa son empreinte monumentale, encore prégnante dans les vestiges de l’hippodrome et des thermes. Passée sous domination musulmane en 636, Tyr fut un enjeu majeur des Croisades avant d’être détruite par les Mamelouks en 1291. Sa renaissance ne débuta qu’à la fin du XVIIIe siècle. Mais c’est cette richesse historique accumulée, classée depuis 1984 au patrimoine mondial de l’Unesco, qui se retrouve aujourd’hui sous les bombes.

Une ville meurtrie, un patrimoine en danger

Lundi 27 octobre, l’armée israélienne a sommé les 40.000 habitants de fuir vers le nord, transformant Tyr en ville fantôme. Les bombardements se sont concentrés sur le centre-ville et les quartiers d’habitation, à l’ombre même des trésors archéologiques.

Selon certaines sources impliquées dans la défense du patrimoine,  » le premier avertissement émis par l’armée israélienne concernait Hay el Ramel (le quartier El Ramel), qui inclut ce qui est connu sous le nom de rue « El Hamra » à Tyr. Cette rue reliait le site d’Al Bass au site de la ville durant les périodes romaine et byzantine. Les deux sites, y compris cette rue, sont considérés comme faisant partie du site du patrimoine mondial de Tyr en raison de leur richesse en vestiges archéologiques, dont certains sont déjà connus, tels que la continuation de la voie romaine et de l’aqueduc, une église byzantine et le site d’Hiram. Durant les périodes romaine et byzantine, les sites d’Al Bass et de la ville faisaient partie d’une seule zone urbaine. Des vestiges de l’aqueduc sont toujours présents dans la rue. Si un ordre d’évacuation a été émis pour cette zone, des frappes israéliennes ont également visé le front de mer le long de la Corniche, impactant des bâtiments historiques dans la vieille ville de Tyr. L’étendue exacte des dégâts dans la vieille ville est encore inconnue, bien qu’une cathédrale médiévale se situe à proximité de la ligne des récentes frappe, mais le pire reste à craindre. »

D’autres sources s’indignent que « l’épicentre du site urbain surélevé, avec ses bijoux architecturaux romains, soit impunément à portée des tirs. Les palestres, les thermes, la voie à colonnade emblématique sont sous la menace directe des raids aériens ». Et affirment que « le site archéologique d’Al Bass, qui abrite l’imposant hippodrome romain et une vaste nécropole antique, n’a pas été épargné. Des destructions massives ont d’ores et déjà été rapportées dans le centre historique et le quartier d’Al Raml, jouxtant les sites archéologiques. Des bâtiments anciens présentent des dommages structurels préoccupants. La proximité entre vestiges et zones d’habitation moderne expose ces trésors à des dégâts considérables ».

Il reste que chaque explosion fragilise un peu plus les structures séculaires, déjà mises à mal par les aléas naturels et le manque criant d’entretien dû aux crises à répétition. Les vibrations se répercutent en profondeur, causant des dommages qui risquent de n’apparaître que trop tard.

Baalbeck, joyau antique pris en étau

Baalbeck, autre site archéologique majeur du pays, n’échappe pas à la tourmente. Deux murailles d’enceinte juxtaposées situées dans la ville historique, l’une datant du mandat français et connue sous le nom de Gouraud et l’autre de l’époque ottomane, ont été détruites lundi par les bombardements israéliens. Mais le site lui-même n’a pas été touché, confirme Bachi Khodr, gouverneur du Hermel-Baalbeck à Ici Beyrouth.

Le front n’est plus qu’à un jet de pierre des temples romains les mieux préservés au monde, également inscrits au patrimoine mondial par l’Unesco. Pour l’heure, le site principal reste miraculeusement intact selon les informations communiquées par le gouverneur. Mais les retombées de ces raids à proximité immédiate ne sont pas sans conséquences.

Les épaisses colonnes de fumée noire qui s’élèvent des décombres risquent à terme d’affecter les pierres millénaires. Les secousses répétées fragilisent insidieusement les structures. Jusqu’à quand ces joyaux d’architecture tiendront-ils le choc face à la déferlante de violence ?

Un héritage à préserver coûte que coûte

Face à ce drame humain, d’aucuns pourraient s’indigner : que valent des pierres face aux vies humaines fauchées ? Mais ce serait oublier la valeur inestimable de ce patrimoine, témoin muet mais ô combien éloquent de notre histoire.

Ces vestiges qui ont résisté aux guerres, aux occupations et aux séismes racontent la grandeur et la résilience de notre peuple. Gardiens de notre mémoire, ils transmettent aux générations futures les leçons du passé. Les laisser périr sous les bombes, c’est amputer le Liban de son identité.

C’est une course contre la montre qui est engagée pour sauver ce qui peut encore l’être. Mais face au fracas des armes, les appels des archéologues et des défenseurs du patrimoine semblent vains. L’incurie des autorités libanaises – qui devraient lancer des appels à l’aide à la communauté internationale – face à cette situation inédite est tout aussi consternante.

Il est proprement insupportable d’assister, impuissants, à la mise en péril de sites qui font la fierté du pays et de l’humanité toute entière. L’histoire nous jugera sévèrement d’avoir laissé ces merveilles à la merci des bombes par inaction et fatalisme. Il y a urgence absolue à mettre en place des mesures de sauvegarde, à défaut d’un cessez-le-feu qui semble illusoire.

Chaque jour qui passe ampute un peu plus le Liban de son âme. Celle qui s’incarne dans ces pierres marquées par les siècles et qui résonnent de toute la grandeur des civilisations passées. Si rien n’est fait, il ne restera bientôt plus que des champs de ruines, muets et accusateurs, pour témoigner de la splendeur perdue.