Éliminatoires CAN 2025, entre coups fourrés et jeux d’influence

Rédigé le 21/11/2024
La rédaction de Mondafrique

Les éliminatoires de la CAN 2025 se sont terminées ce mardi. Disputées en deux mois, les 144 rencontres ont permis de dégager le plateau des 24 équipes qui disputeront cette trente-cinquième édition, dans un peu plus d’un an au Maroc. Derrière ce verdict sportif, la (géo)politique n’est jamais très loin. Décryptage.

Par Patrick Juillard

Forces en présence : le Maroc marque les esprits, l’Afrique australe monte en puissance

Terminées mardi, les éliminatoires de la CAN 2025 ont livré leur verdict. 23 pays ont rejoint le Maroc en phase. Qualifiés d’office en tant que pays hôte, les Lions de l’Atlas ont impressionné durant ces deux mois de galops d’essai. Auteurs d’un carton plein avec six victoires en autant de rencontres, les demi-finalistes du Mondial 2022 au Qatar ont inscrit 26 buts (soit plus de 4 par match) et n’en ont encaissé que 2. Le fer derrière, le feu devant : il est aujourd’hui impossible de ne pas considérer cette équipe comme la grande favorite d’une compétition que le pays n’a remportée qu’une fois, en 1976.

Les derniers vainqueurs (Algérie, Sénégal, Côte d’Ivoire) et les grands habitués (Tunisie, Égypte, Cameroun) seront également présents, au contraire du Ghana et de la Guinée, principales victimes des matchs de qualification. Le plateau ne comporte que des équipes ayant déjà participé au moins une fois à une phase finale, à l’image du Botswana et des Comores. Les Zebras et les Cœlacanthes, petits poucets parmi les 24 heureux élus, représentent tous deux l’Afrique australe.

Dans la foulée du retour de l’Afrique du Sud au premier plan avec la troisième place des Bafana Bafana à la CAN 2023, cette sous-région enverra l’an prochain sept pays en phase finale, ce qui constitue son meilleur total depuis le passage de la CAN de 16 à 24 équipes, en 2019. Une de plus que l’Afrique de l’Ouest, qui atteint ainsi un plus bas historique. L’Afrique du Nord (4 pays), l’Afrique centrale (4 pays) et l’Afrique de l’Est (3) affichent elles des valeurs stables. Les 24 équipes qualifiées se donnent rendez-vous en fin d’année 2025 au Maroc.

Le président ivoirien Alassane Ouattara (au centre) aux côtés de l’entraîneur des Eléphants Emerse Faé (à gauche) et du capitaine de l’équipe Max-Alain Gradel, au palais présidentiel d’Abidjan, le 13 février 2024



Programmation : délais serrés et coups fourrés

Ce verdict sportif est intervenu au terme de 144 rencontres, réparties en trois sessions de 48 matchs chacune, au cours des mois de septembre, octobre et novembre 2024. Un véritable marathon qui oblige la Confédération africaine de football à établir une programmation très serrée, pour ne pas dire touffue, sur les créneaux accordés par la FIFA. Pour autant, est-il bien raisonnable de débuter les journées impaires des éliminatoires moins de 72 heures après la fin des rencontres de clubs (qui se terminent les dimanches précédents), soit le mercredi ? Si l’on tient compte des distances entre l’Europe et l’Afrique, des réalités du transport aérien sur le continent et du fait que peu de joueurs ont les moyens d’affréter des jets privés afin de voyager dans les meilleures conditions possibles, la réponse est négative.

Mais la programmation est un art difficile, et ces éliminatoires tenues au pas de charge, en deux mois, imposent souvent aux équipes de jouer deux matchs en trois jours. Des délais serrés dont certaines équipes peuvent être tentées de profiter pour pourrir la vie de leur adversaire. En la matière, la Libye est championne d’Afrique. En octobre dernier, alors que l’appareil se trouve en approche de Benghazi, l’avion de l’équipe du Nigeria est dérouté au dernier moment vers un aéroport désert. Les joueurs et leurs encadrants y seront séquestrés plus de seize heures durant, coupés du monde extérieur. Refusant de jouer leur match, les finalistes de la dernière CAN rentreront au pays. Après s’être saisie de l’affaire, la CAF donnera match perdu (3-0) aux Libyens, compromettant par la même leurs chances de qualification.

Mais cette sanction n’a visiblement pas été suffisante pour les calmer. La réception du Bénin, ce lundi 18 novembre, dans un match décisif pour la qualification a été marquée par des incidents violents : après le match nul (0-0) entre les deux équipes, synonyme d’élimination pour les Chevaliers de la Méditerranée (surnom de l’équipe nationale de Libye, ndlr), les visiteurs ont été retenus dans leur vestiaire, sous la menace de jets de projectiles des supporters libyens mécontents. Une fois rassemblés dans le bus au moment de quitter le stade, des policiers libyens ont fait irruption dans le véhicule. Plusieurs membres du staff ont été légèrement blessés par des coups de matraque. Enfin, à l’aéroport, la délégation a fait face à des heures de tracasseries pour obtenir les autorisations nécessaires avant de pouvoir décoller direction Cotonou.

Homologation des stades : une vingtaine d’équipes privées de matchs devant leur public

On ne sait pas encore si la Confédération africaine de football va de nouveau sévir contre la Libye à la suite de ces incidents du mois de novembre. Parmi les mesures possibles, une interdiction de recevoir pour infraction répétée aux règles d’accueil et d’hospitalité pend au nez des Chevaliers de la Méditerranée. Ces derniers viendraient alors grossir la liste des pays interdits de matchs à domicile pour défaut d’homologation de leur stade. Depuis l’arrivée à sa tête du Sud-Africain Patrice Motsepe en 2021, la CAF met l’accent sur l’amélioration des infrastructures. Les enceintes sont régulièrement inspectées afin de conserver (ou retrouver) leur agrément. Pour obtenir ce feu vert, une batterie de critères est à satisfaire. La qualité de la pelouse (naturelle ou synthétique) et des bancs de touche, l’éclairage, la numérotation des sièges, la propreté des vestiaires, les sanitaires pour les spectateurs, la sécurité de l’enceinte et l’équipement des installations destinées aux médias sont ainsi passés au crible.

« La construction d’au moins un stade de grande qualité dans chacune des 54 associations membres » fait partie des objectifs du plan d’investissement d’une somme de 1 milliard de dollars dans le football africain sur les huit prochaines années, présenté lors de la 46ᵉ Assemblée Générale Ordinaire de la CAF à Addis-Abeba en octobre dernier. En attendant la réalisation de ce grand dessein, une vingtaine d’équipes ont été dans l’impossibilité de recevoir dans leur pays, faute de disposer d’une enceinte homologuée, et ont dû accueillir leurs adversaires à l’étranger. Ces expatriés forcés ont principalement trouvé refuge dans trois pays richement pourvus en aires de jeu de qualité : l’Afrique du Sud, seule nation africaine à avoir organisé une phase finale de Coupe du monde, la Côte d’Ivoire, qui avait mis ses stades à niveau pour accueillir la dernière CAN, et le Maroc, futur coorganisateur de la Coupe du monde (avec l’Espagne et le Portugal) en 2030.

Se doter d’infrastructures de haut niveau peut aussi servir à envoyer des messages à sa propre population. Ainsi en va-t-il de l’Algérie, qui a joué le 17 octobre face au Liberia le premier match officiel de son histoire en Kabylie, sur la pelouse du flambant neuf stade de Tizi Ouzou. Symbole dans le symbole, cette enceinte de 50.000 places porte le nom d’Hocine-Aït-Ahmed (1926-2015), figure historique de l’indépendance, devenue un opposant résolu au régime du Parti unique.

Calendrier : le Maroc cède devant la FIFA, la CAN toujours « SDF »

Malgré le poids du pays dans les instances dirigeantes du football, le Maroc n’a pas fait ce qu’il voulait pour l’organisation de cette CAN 2025, trente-sept ans après la première édition à se dérouler sur son sol, en 1988. Le royaume chérifien, pays hôte de l’épreuve, souhaitait que celle-ci se déroule « à l’été 2025, conformément à la haute sollicitude royale ». La prolongation du sélectionneur Walid Regragui, dans la foulée de la dernière phase finale en Côte d’Ivoire, avait été l’occasion de réaffirmer cet objectif. Ce ne sera pas le cas. Malgré son poids dans les instances africaines, le pays des Lions de l’Atlas a dû céder face à Zurich : étant donné l’engorgement du calendrier international et la place prise au cœur de l’été par le Mondial de clubs de la FIFA format XXL cher à son président Gianni Infantino, cette trente-cinquième édition de la CAN aura lieu du dimanche 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026.

Il s’agira de la troisième phase finale consécutive à ne pas se dérouler (entièrement) durant l’année correspondant à sa dénomination officielle : la CAN 2021 a eu lieu début 2022 au Cameroun, la CAN 2023 deux ans plus tard, soit début 2024, en Côte d’Ivoire. Si l’on élargit la focale, ce ne sera jamais que la septième phase finale consécutive de la CAN à ne pas se disputer aux dates initialement prévues. Et ce n’est sans doute pas terminé : si les prochaines éditions de la Coupe du monde, de la Copa América ou de l’Euro figurent déjà sur le Calendrier International des Matchs (IMC), publié par la FIFA, nulle trace en revanche de la CAN 2027 sur ce document publié « après consultation des parties prenantes concernées » et « pour une période de quatre ou huit ans. » Tel est le destin de la Coupe d’Afrique des Nations, devenue une compétition « SDF » : sans date fixe.