Iran/Israël (1), Ali Khamenei dans le brouillard de la guerre

20/06/2025 – La redaction de Mondafrique

Alors que l’Iran subit de lourdes pertes militaires dans sa confrontation directe avec Israël, le discours du Guide suprême Ali Khamenei interroge : est-il informé de la réalité ? Une guerre pourrait-elle être conduite à partir d’une illusion ?

Le 12 juin 2025, à la télévision d’État iranienne, Ali Khamenei apparaît en noir, les traits fermes, la voix sûre. Dans un discours enflammé, il promet « une riposte historique » à toute agression occidentale. Mais en coulisses, l’Iran vient de subir l’un des plus lourds revers militaires de son histoire. Des installations nucléaires frappées, des généraux éliminés, des bases aériennes anéanties. Ce décalage profond entre le discours du Guide et la réalité sur le terrain soulève une question vertigineuse : Khamenei sait-il vraiment ce qu’il se passe ?

L’hypothèse d’une dissimulation interne – voire d’un système qui désinforme délibérément son propre chef – prend de l’épaisseur. Et si, en 2025, l’Iran était gouverné par un homme prisonnier de ses conseillers ?

Le poids des silences 

Depuis le début de la guerre directe entre l’Iran et Israël, en avril 2024, la parole de Khamenei reste rare mais décisive. Chaque apparition est une affirmation de légitimité. Chaque phrase, une orientation stratégique. Mais cette fois, quelque chose cloche.

Les analystes notent un ton triomphant dans ses interventions, alors que les rapports d’agences internationales, de satellites d’observation et de médias indépendants confirment une série de pertes catastrophiques pour l’Iran : 9 des 13 hauts responsables des Gardiens de la révolution éliminés, 70 batteries de défense aérienne détruites, des centres de centrifugeuses neutralisés à Karaj et Natanz.

Ce contraste n’est pas anodin. Il renvoie à une interrogation cruciale : la structure même du pouvoir iranien permet-elle encore une circulation fiable de l’information vers le sommet ?

Un précédent : Damas, avril 2024

Le tournant aurait pu se produire des mois plus tôt. En avril 2024, un raid israélien élimine le général Mohammad Reza Zahedi à Damas. La frappe touche un bâtiment voisin de l’ambassade iranienne. Bien qu’aucun statut diplomatique officiel ne soit attribué à ce site, Téhéran dénonce une attaque contre son ambassade. C’est ce récit – largement contesté hors d’Iran – qui aurait été transmis à Khamenei.

Cette version falsifiée aurait servi de déclencheur pour l’attaque historique du 13 avril 2025 : plus de 100 missiles balistiques et 170 drones lancés vers Israël. Pour certains analystes, cette réponse spectaculaire pourrait reposer sur une illusion initiale. Un contresens diplomatique transformé en justification stratégique.

Mais alors, pourquoi un tel aveuglement ? Plusieurs hypothèses se dessinent. La première est classique : la rhétorique martiale est utilisée pour maintenir l’unité intérieure, cacher les faiblesses et masquer les défaites. Une méthode de survie pour un régime autoritaire.

La seconde est plus préoccupante : Khamenei pourrait être sincèrement désinformé par son entourage. Certains membres de son cabinet, notamment issus des Gardiens de la Révolution, auraient intérêt à maquiller les revers, soit par peur, soit pour manipuler ses décisions.

Dans les deux cas, le résultat est le même : un pouvoir suprême aveuglé, agissant sur des récits déformés.

Un écho de l’histoire : 1967 revisité

Le cas Khamenei rappelle un précédent historique bien connu : la guerre des Six Jours. En juin 1967, les services égyptiens mentent à Gamal Abdel Nasser, lui assurant que son armée progresse, que Tel-Aviv est à portée. En réalité, l’armée israélienne pulvérise les troupes égyptiennes. Le mensonge précipite la défaite. Et avec elle, l’effondrement de l’influence égyptienne au Moyen-Orient.

Khamenei est-il dans une situation comparable ? Certains conseillers, désormais morts, n’ont peut-être pas eu le temps de corriger le récit officiel. D’autres, encore en poste, redoutent de contredire le Guide. Le risque est évident : une guerre conduite dans le brouillard, alimentée par des rapports faussés, des craintes internes, et un homme seul au sommet.

Le discours du 12 juin illustre ce paradoxe. Khamenei martèle que « l’Iran n’acceptera ni paix, ni guerre imposée ». Une formule ambiguë, traduisant à la fois une posture de défi et une impasse stratégique.

Car en réalité, le programme nucléaire iranien est à l’arrêt. Le réseau d’alliés régionaux (Hezbollah, milices chiites, Syrie) est désorganisé. Les options militaires se réduisent. Et pourtant, la rhétorique reste figée, comme si Téhéran se convainquait d’un « match nul stratégique » avec Israël.

C’est cette dissonance cognitive qui inquiète. Car elle ouvre la voie à des décisions irréfléchies, voire suicidaires.

Un pouvoir piégé par son propre théâtre

Ce que la situation révèle, c’est peut-être une mutation du régime : de la théocratie autoritaire à une autocratie désinformée. Khamenei, longtemps perçu comme un calculateur froid, serait devenu un acteur enfermé dans le théâtre qu’il a lui-même mis en scène.

Les conséquences sont multiples :

  • Risques d’escalade incontrôlée: un Khamenei persuadé que l’Iran tient bon pourrait ordonner de nouvelles frappes, déclenchant des représailles israéliennes encore plus destructrices.
  • Blocage politique: convaincu d’être en position de force, il pourrait refuser toute négociation – même au bord de l’effondrement militaire.
  • Perte de cohésion interne: au sein du régime, la confiance dans le jugement du Guide pourrait vaciller. Des fractures, aujourd’hui larvées, pourraient s’accentuer.

Une guerre asymétrique… de perceptions

Pour Israël, cette configuration représente un danger spécifique. Car l’adversaire n’est plus rationnel. Il n’agit pas selon un calcul stratégique froid, mais en fonction d’une lecture biaisée, voire fantasmée, de la situation.

Cela rend toute anticipation plus difficile. Et tout dialogue, presque impossible.

C’est ce que redoutent les chancelleries occidentales : que le conflit actuel soit alimenté non seulement par des missiles, mais par une erreur d’appréciation au sommet de l’État iranien.

La guerre Iran–Israël ne se joue pas seulement dans le ciel du Moyen-Orient. Elle se joue aussi dans les bureaux feutrés de Téhéran, dans les dossiers filtrés, dans les récits contrôlés. Si Khamenei gouverne dans l’ombre d’une illusion, alors c’est une guerre plus dangereuse encore qui s’annonce : une guerre menée par un Guide aveugle, persuadé de voir clair.