Insécurité, terrorisme et trafics au Sahel 

05/11/2024 – La rédaction de Mondafrique

Les attaques de Tinzwaten Mali, du pipeline du Niger, de Barsalogho au Burkina et Barkaram lac Tchad… Il faut le rappeler : l’avènement du terrorisme et la guerre en Libye ont favorisé divers trafics au Sahel : armes à feu, drogue, carburants, médicaments, cigarettes, migrants et êtres humains, principalement.

Limam Nadawa, consultant au centre4s.org

The remains of destroyed tanks and other war equipment at the Wadi Doum war site in the Sahara, northern Chad, close to the Ennedi massif. 

Plus l’insécurité s’aggrave et plus ces fléaux prennent de l’essor amplifiant les profits mais aussi le nombre de ces acteurs de l’ombre. En complicité avec certaines autorités officielles, ces profiteurs de guerre travaillent à faire perdurer les conflits qui ravagent le Sahel.

L’intervention de l’OTAN en Libye, en 2011, est considérée comme un des moments forts de l’expansion des trafics au Sahel.  À l’occasion, des combattants, originaires d’Afrique occidentale et centrale, servant dans les différentes légions du Colonel Mouammar Kadhafi, pillèrent des stocks d’armes de divers calibres. Avec ce butin, ils renforcèrent en particulier des mouvements rebelles au Mali. Ils facilitèrent ainsi l’acquisition d’armes par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et la justice en Afrique de l’ouest (MUJAO), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), Boko Haram, etc.

Cartographie des acteurs.

Une partie de ces armements provient, tout aussi bien d’équipements, détournés d’arsenaux nationaux mal gérés, que du trafic d’armes dérivant des divers conflits ayant secoué l’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone, en particulier. En outre, certains ports de la sous-région sont soupçonnés de mener des activités de trafic d’armes légères. Les attaques de casernes puis des combats sporadiques constituent une autre source d’approvisionnement. De nombreuses images de prises de guerre, publiées par des Groupes armés terroristes (GAT), en sont une des démonstrations. En complicité avec d’anciens trafiquants, ces acteurs se sont engouffrés dans le business des armes. Certains, parmi ces Pablo Escobar sahéliens, le grand parrain colombien (1949 – 1993), ont réussi à se lier à des États. Ils s’y sont implantés, à travers des investissements dans l’économie légale, diversifiant leurs activités et blanchissant leur argent dans des secteurs tels le transport et l’immobilier en Afrique occidentale et au Maghreb. Cette influence politico-économique leur permit de s’imposer, progressivement, dans le paysage institutionnel d’États ouverts à ce genre de collaboration. Dans certains pays, entre 2017 et 2021, les saisies d’armes ont augmenté de 105%, en ce qui concerne les fusils d’assaut, selon l’Office régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), basé à Dakar.

Terroristes avides d’argent.

Dans un mélange des genres pragmatique, des groupes terroristes ont intériorisé l’intérêt financier qu’ils pouvaient tirer de ces trafics, s’approchant des groupes criminels. Officiellement, des actions violentes d’AQMI se parent d’oripeaux et d’idéaux religieux. En pratique, le groupe se montre plus intéressé par le gain, à travers ses exigences et ses activités parallèles de crime organisé et de contrebande.

Selon l’organisme américain chargé de la lutte contre la drogue, US Drug Enforcement Agency (DEA), 60% des groupes terroristes étrangers ont un lien avec le trafic de drogue. Pareillement, et selon la même source, 80% des chefs Talibans Afghans sont plus motivés par les profits financiers tirés de la culture du pavot que par des élans spirituels. Une partie de ce pavot, dont sont extraits l’opium et l’héroïne, transite par le Sahel, qu’on arrose, avant de poursuivre la trajectoire vers l’Europe. L’autre provient, généralement, de Bombay (Inde), de Colombie (70% de la production mondiale de cocaïne), et du Brésil. Avides des hauts revenus que procure la drogue, les trafiquants multiplient les initiatives pour prospérer. Ainsi, des sociétés écran et des actions de charité, au profit des couches sociales les plus pauvres, naissent pour brouiller les pistes. 

À travers l’orpaillage artisanal, des trafiquants et des terroristes se procurent de confortables revenus.  Selon l’ONG suisse, SwissAid, ce secteur a rapporté entre 443 et 596 tonnes, en 2022. Soixante-dix pour cent de cet or sort clandestinement d’Afrique vers le Moyen Orient. En comparaison, l’or industriel a une production annuelle moyenne de 500 tonnes.

Autre richesse aux mains des trafiquants : le carburant une marchandise facile, discrète et stratégique. Les États sahéliens éprouvent du mal à le réguler, en partie du fait qu’il est transporté, parfois, dans des bidons, à travers les frontières, avec la complicité de fonctionnaires intéressés. Le carburant passe par des zones contrôlées par des GAT, qui l’utilisent pour leurs véhicules tout terrain et leurs motos gros cylindres, pour leurs opérations.

Une diversité d’activités.

Diversifiant leurs activités, les trafiquants parasitent aussi le secteur médical. Au moins 605 tonnes de produits médicaux ont été saisies, en Afrique de l’Ouest, entre 2017 et 2021. On estime que 500 000 sub-sahariens en meurent, chaque année. En octobre 2022, 70 enfants gambiens sont morts d’insuffisance rénale, après avoir pris un sirop antitussif illégal. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une alerte, indiquant que quatre produits pour enfants, fabriqués en Inde, étaient contaminés. Incriminé, le laboratoire Maiden Pharmaceuticals a contesté les accusations de l’OMS et du gouvernement gambien. Ce scandale a apporté la preuve que des médicaments illicites, produits en Asie et en Afrique, sont librement vendus en pharmacies.

L’importance de la contrebande des cigarettes, autre filon pour les trafiquants, est aussi à souligner. Très rémunératrices, elles proviennent d’usines clandestines et sont distribuées dans le Sahel, au Maghreb, au Moyen-Orient et en Europe. Les GAT s’enrichissent, notamment en imposant une sorte d’impôt en contrepartie d’escortes de sécurité aux contrebandiers.

Les trafiquants fournissent, également, des esclaves modernes. Les victimes des trafiquants de migrants et de la traite des êtres humains effectuent des voyages périlleux, du Sahel vers l’Afrique du Nord et l’Europe. Le trafic des migrants reste une activité bien rémunérée. Les passeurs, interrogés dans les pays de l’ex-G5 Sahel déclarent gagner, en moyenne, 1 500 dollars US par mois. Ce ‘’ revenu’’ est largement supérieur à celui d’un travail régulier dans la sous-région. Avec la pandémie de la Covid-19 et une plus forte demande de personnes corvéables, les honoraires des passeurs ont augmenté, à partir des pays de départ. L’aggravation des risques, liée au durcissement des contrôles administratifs, eurent pour effets d’accroître les coûts de leurs prestations.

La traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé est, souvent, liée aux activités d’extraction de l’or dans les sites artisanaux, au trafic d’organes humains, de stupéfiants et d’armes à feu. Un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) indique que certaines victimes subissent des enlèvements contre rançon, des tortures, puis de nombreuses formes d’abus physiques et psychologiques. 

En Méditerranée, trop de vies sont perdues : 20 000 décès, entre 2014 et le premier trimestre 2023. En dépit de ces traversées mortelles, des centaines de migrants et de réfugiés continuent d’affluer vers les ports d’embarquement, tentant de rejoindre l’Europe, via la Méditerranée ou les Iles Canaries. L’Europe demeure un fort pôle d’attraction.

La lutte contre les trafiquants.

Les pays du Sahel confrontent le terrorisme et l’extrémisme violent et les différents trafics, avec l’appui de divers partenaires. Des pays ouest-africains ont lancé l’Initiative d’Accra (Ghana), en septembre 2017. Ils ont déployé des opérations conjointes, initié des efforts de renforcement de la confiance dans les zones sensibles et appelé à l’opérationnalisation d’une force, conjointe multilatérale, de 10 000 soldats. La création, par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, de l’Alliance des États du Sahel, le 16 septembre 2023, suivie de celle de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, le 06 juillet 2024, semble avoir entamé ces ardeurs. Ces trois pays comptent parmi les épicentres du terrorisme. Leur méfiance à l’égard de l’Initiative d’Accra, perçue comme un instrument de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la paralyse, dans les faits.

En collaboration avec les Nations Unies, les pays de la région cherchent à renforcer la résilience des communautés frontalières et à faciliter le retour des personnes déplacées dans leurs localités d’origine. L’initiative de l’Union africaine, ‘’Faire taire les armes’’, contribue également à la lutte contre les trafiquants, en apportant à ces États une assistance technique, en matière de contrôle des armes légères. Pour sa part, l’ONUDC se joint, régulièrement, à des partenaires, tel INTERPOL, afin d’étouffer les multiples voies d’approvisionnement. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’homme (HCDH) fournit un soutien direct aux pays sahéliens, visant à réduire les dommages civils et à répondre aux violations humaines. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) s’attaque aux causes structurelles de l’instabilité des États avec un accent particulier sur la fragilité transfrontalière.

Un réseau de trafics s’est tissé à travers le Sahel, long cordon de près de 6 000 kilomètres, s’étendant de l’océan Atlantique à la mer Rouge, et abritant plus de 300 millions d’âmes. La lutte contre ce fléau requiert une mobilisation mondiale, au regard de l’ampleur de ses tentacules …