En Tunisie et en Libye, l’Europe lutte contre l’argent sale

15/02/2019 – La redaction de Mondafrique

Le 13 février 2019, la commission européenne a mis à jour la liste de six pays africains, dont la Tunisie, présentant un risque important dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Dans le communiqué publié par la commission européenne, il est précisé que cette liste, qui concerne 12 pays répertoriés par le Groupe d’Action Financière (GAFI) et 11 par d’autres juridictions, a été adoptée après analyse de 54 pays et territoires prioritaires dont l’Algérie, le Maroc ou le Sénégal entre autres.

Même si c’est au parlement européen que reviendra la décision d’accepter ou de rejeter la liste proposée, il parait fort probable qu’il suivra les recommandations de la commission pour obliger toutes les banques européennes à appliquer de profonds contrôles et à des vérifications fouillées des flux financiers des pays désignés.

« L’Europe ne peut pas être une blanchissserie »

Allant dans ce sens, la commissaire européenne à la justice Vera Jourova a déclaré : ‘’L’Europe ne peut pas être une blanchisserie !’’

Pourtant, certains pays de l’Union européenne, soucieux de perdre leurs intérêts économiques, s’activent en coulisse pour faire annuler la décision de placer sur la liste noire européenne le Panama ou l’Arabie Saoudite. Mais pas les pays africains…L

La commission a estimé insuffisants les efforts fournis pour la protection du système financier de l’Union Européenne par 6 pays africains dont le Nigeria, le Botswana, l’Ethiopie, le Ghana, la Libye et la Tunisie.

Si le cas de la Libye peut être difficilement contestable au vu de l’effondrement de l’Etat et l’absence de véritables institutions de contrôle des flux financiers à même d’assurer une réelle traçabilité des flux financiers, il n’en demeure pas moins que les autres pays africains comme le Nigeria, l’Ethiopie et la Tunisie posent problème.

Le Botswana, les diamants au coeur

Devancé par la Russie et l’Australie, le Botswana est le troisième producteur de diamant au monde, rendant son économie dépendant des recettes de cette principale ressource à plus de 80 %.

Si la France avait sorti en 2014 les Bermudes et Jersey de la liste paradis fiscaux, elle avait toutefois maintenu le Botswana dans la liste des pays peu coopératifs fiscalement avec la France.

Classé pourtant régulièrement parmi les premiers pays en termes de gouvernance et de transparence par l’ONG Transparency International, le pays a su mettre en place un cadre réglementaire solide et efficace contre le blanchement d’argent et autres délinquances financières.

C’est peu de dire que l’inscription de ce pays sur la liste noire de la commission européenne a engendré une grande incompréhension pour les 2,5 Millions d’individus de ce pays.

Le Nigeria, la dépendance à l’or noir


Alors que le président nigérian Muhammadu Buhari avait pourtant signé, en octobre 2018, un décret pour renforcer la législation contre les flux de capitaux suspects et avait pris des mesures concrètes pour la lutte contre la corruption, l’entrée du Nigeria dans la liste européenne des pays à haut risque concernant le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme tombe mal.

Dans un contexte de chute des prix du pétrole, le Nigeria qui dépend à 70% de recettes pétrolières pour équilibrer son budget, pourrait être menacé de voir les investissements étrangers se tarir dans un pays ou le risque terroriste est encore très présent.

Et il est fort à parier que l’ancien vice-président Atiku Abubakar, opposé au président Buhari qui s’est présenté aux prochaines élections présidentielles pour un second mandat, va largement exploiter l’incapacité du président sortant à lutter contre la corruption, la fraude fiscale et le blanchiment d’argent ayant abouti à installer le pays sur la liste noire de l’Union Européenne.

L’Ethiopie, le tigre africain ralenti


En moins de 10 ans, l’Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, a réussi une spectaculaire mue économique grâce à la mise en place réussie du plan de croissance et transformation du jeune gouvernement d’Addis-Abeba.

Qualifiée de ‘’tigre africain’’ par de nombreux analystes, le pays au 8,5 % de croissance en 2018 s’est doté d’un attractif code des investissements. Une batterie de mesures et d’institutions ont été mises en place pour lutter contre la corruption et pour stabiliser le pays sur le plan sécuritaire.

La décision de la commission européenne risque de freiner les ambitions de ce pays qui se projette en puissance économique continentale.

Le Ghana, à la traine dans la lutte anti-blanchiment

L’autre champion de la croissance en Afrique est le Ghana, qui malgré la baisse des revenus pétroliers arrive à soutenir une insolente croissance économique de par son économie diversifiée.

Le Ghana a été jusque-là épargné par les attaques djihadistes qui ont touché les autres pays de l’Afrique de l’Ouest.

Ayant équilibré son budget sur la base d’un baril de pétrole à 60 Dollars, Accra s’était endetté dès 2011, mais c’était sans compter sur l’effondrement des cours du pétrole sur le marché mondial qui a mis à mal la balance financière du pays.

Inscritsdéjà par le passé dans la liste des pays à haut risque et non coopératifs du GAFI avant d’en être retiré en 2012, le Ghana pèche à nouveau sur la mise en place des dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

La décision de la commission de l’Union Européenne, là encore, qui risque de rendre problématique la sortie de la crise financière de ce pays stable jusque-là et pousser à une fragilisation sécuritaire.

La Tunisie, passoire pour l’argent sale


Plus au nord, la Tunisie figurait déjà dans une liste de pays considérés comme des paradis fiscaux et publiée en début 2018 par les ministres des Finances de l’Europe, ce qui avait valu à Ayari Chedly sa place à la tête de la banque centrale de Tunisie.

A peine sortie de cette liste, la Tunisie est à nouveau inscrite en Juillet 2018 dans la liste de pays à haut risque pour le blanchiment de capitaux. En cause, la difficulté pour le système bancaire tunisien à retracer l’origine des fonds pouvant servir pour des activités criminelles comme le terrorisme.

La Tunisie fait d’autant plus peur à l’Europe pour avoir fourni la plus grosse part du contingent de terroristes, on parle de plusieurs milliers de personnes, sévissant dans les zones de conflits du Maghreb et du Moyen-Orient (Libye, Irak et Syrie).

La décision de maintenir la Tunisie dans la liste des pays à haut risque, pour le blanchiment de capitaux et le financement de terrorisme, tombe au plus mal pour Tunis qui se prépare également aux présidentielles prévues en fin d’année 2019.

Le pays, qui dépend largement de financements extérieurs pour équilibrer son budget, risque de subir le contrecoup de la décision européenne, les investisseurs étrangers hésitant désormais à transférer leur argent dans un pays au système bancaire déclaré peu fiable par l’union européenne.

Une décision européenne contestée

De nombreux pays européens ont d’ores et déjà commencé un travail en coulisse, dénonçant la nouvelle blacklist européenne, certains diplomates n’arrivant pas à s’expliquer l’absence de la Russie ou de Malte de cette liste.

Si l’UE met en avant la sécurité des pays européens à travers la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, de nombreux observateurs indiquent que la décision de la commission européenne privilégie indirectement ses intérêts économiques.

L’ancien Ministre des Finances tunisien va même jusqu’à déclarer que la décision de Strasbourg veut mettre la pression sur les Etats afin de les contraindre à signer l’accord de libre échange complet et approfondi avec l’Union Européenne.

Un accord déséquilibré et en faveur de l’UE, qui est vu par beaucoup comme une menace à la stabilité d’abord économique et ensuite sécuritaire de leurs pays.