Laurent Foucher, l’industriel français amoureux de la Centrafrique

09/12/2018 – Nicolas Beau

Laurent Foucher, patron du groupe Telecel et chef de file dans l’industrie des télécommunications dans un certain nombre de pays africains, nous livre ses ambitions pour la Centrafrique, un pays qu’il affectionne particulièrement. Une entretien avec Nicolas Beau.

Vous avez développé de nombreuses affaires en Centrafrique. Dans quelles conditions avez-vous connu ce pays ? Pourquoi la situation paraît-elle, aux observateurs, aussi difficile? Dans quelle mesure la Centrafrique est condamnée à vivre encore ces affrontements violents qu’elle connait depuis trop d’années?  

Je n’ai pas de « nombreuses affaires » en République centrafricaine, mais une seule. Avec mes associés, Nicolas Bourg, Hugues Mulliez, et Mohamad Damush, nous sommes propriétaires de la société de téléphonie mobile Télécel. Télécel est leader sur ce marché, loin devant Orange, et nous sommes l’un des premiers employeurs de ce pays qui a tellement besoin de la confiance des investisseurs pour parvenir à se redresser. 

Télécel est un acteur historique en RCA. C’est une marque forte qui est respectée et depuis que nous l’avons reprise, cette marque et ce respect n’ont fait q​ue se renforcer. J’y vois là la contrepartie de la qualité de nos services en matière de télécoms, mais aussi de notre implication dans des actions sociales en direction des populations. Je reviens juste de Bangui. J’y ai participé à la troisième édition de l’Académie Centrafricaine de presse que Telecel soutient aux cotés de la Minusca, la mission de l’ONU.

Le Cardinal Nzapalainga, sans nul doute l’une des figures les plus respectées de RCA, était présent à nos cotés. Ce pays souffre et mon engagement personnel n’est un mystère pour personne à Bangui.

                             « Sur tous les fronts »

Sur la seconde partie de votre question, je n’ai pas la prétention de vous livrer une analyse au niveau des enjeux cruciaux de cette époque trouble. Je suis un simple acteur économique engagé dans le développement de ma société, et ce développement passe inéluctablement par la prise de conscience de la douleur et des besoins de nos compatriotes centrafricains. Deux points toutefois. Premier point : l’importance pour un tel pays d’avoir des investisseurs à long terme, qui croient dans son avenir, ce qui est le cas de Telecel. 

Deuxième point: l’importance des infrastructures et la responsabilité des bailleurs de fonds internationaux. La RCA a cruellement besoin d’infrastructures. C’est un devoir pour la communauté internationale envers ce pays, qui est l’un des plus pauvres du monde. Vous nous verrez donc présents sur tous les fronts, le financement d’orphelinat, la fourniture de matériels hospitaliers, la formation des journalistes, le financement des fédérations de sports… Mais aucun investisseur privé ne peut remplacer l’Etat et les grands financements publics indispensables.

Vous avez connu également d’autres personnalités africaines comme le sénégalais Abdou Diouf ou l’angolais Dos Santos ? Pouvez-vous nous évoquer vos rencontres avec ces chefs d’Etat ?

Croiser un chef d’Etat dans le cadre de mes affaires n’en fait pas une relation, et encore moins un ami.

En ce qui concerne le Président Abdou Diouf, il en va autrement. Avoir fréquenté un personnage iconique tel que le Président Diouf, vous grandit à jamais. Ils sont peu nombreux dans l’histoire du monde, et j’en suis extrêmement fier.

                Optimiste encore et toujours

L’état de santé du continent africain voit s’affronter des experts, certains optimistes et d’autres pas sur les aouts de ces pays. Quel est votre sentiment sur les atouts et déficits du continent dans la mondialisation (démographie, ressources énergétiques et minières, synergies régionales…) ?

Je suis extrêmement optimiste pour l’avenir de l’Afrique. Votre question appelle une réponse trop longue pour votre format d’interview, mais pour moi, tous les atouts sont présents. Ça commence par le facteur humain, d’une richesse trop méconnue, les codes et les structures sociales qui fonctionnent partout, et bien sûr les richesses, qui seront la bénédiction de ce continent, lorsqu’elles seront produites principalement pour les populations et non pas à leur détriment. Cela aussi ça viendra, et selon moi, beaucoup plus vite qu’on ne le croit.

La question centrale est celle du cercle vertueux qui, en Asie par exemple, s’est mis en place. Stabilité politique, confiance du secteur privé, soutien des bailleurs de fonds internationaux. Tout pays a besoin de ces trois facteurs pour décoller. En particulier en Afrique.

Quelle est la perception de la France par les Africains ? On parle beaucoup de la montée d’un sentiment anti-français. Quel est votre diagnostic ? 

Le Président Macron a mis en place une initiative originale qui n’a pas reçu l’écho mérité, le Conseil Présidentiel pour l’Afrique. Je vous encourage à relire cette intention novatrice, qui consiste à solliciter les conseils de jeunes personnalités éclairées et connaisseuses de l’Afrique pour redéfinir la politique française vis-à-vis de ce continent. Malheureusement, nous en entendons trop peu parler et nous ne voyons pas encore de résultats…

Cela dit, est-ce à la hauteur des attentes des africains, alors que ça n’a déjà pas été à la hauteur de celle des français ?D’ailleurs, y a-t-il encore des attentes de la part des africains ? de moins en moins selon ce que je constate. Les promesses non tenues, les intentions parfois bonnes et qui s’arrêtent subitement sans préavis raisonnable, et cette absence totale de psychologie et de compréhension de nos politiques à l’égard de l’Afrique, a sans doute finit par lasser.

Alors un sentiment anti-français ? Oui parfois, mais pas si ancré que certains veulent nous le faire croire. Le lien entre la France et l’Afrique francophone reste fort et intime, n’en déplaise à certains va-t-en-guerre, qui parient sur le déboulonnage des Français au profit d’autres pays. 

Vous passez pour être proche de l’ancien ministre français de l’Intérieur Claude Guéant ? Pour vous, quels sont les politiques français qui ont un vrai point de vue et un projet pour les relations franco africaines ?

Alors voilà la relation fantasmée par excellence ! Je connais Claude Guéant en effet, mais ne suis pas « proche » de ce haut-fonctionnaire proche de Nicolas Sarkozy qui a ensuite assumé de fonctions ministérielles. 

Cependant, à l’occasion de certains événements, j’ai pu constater la fascination de cet homme pour l’Afrique, qu’il connait par ailleurs assez bien… Il a effectué une partie de son service militaire en République centrafricaine…Alors oui, j’admire d’un certain point de vue monsieur Guéant, mais je ne suis pas un proche. 

Quant aux politiques français qui auraient un projet pour les relations franco-africaines ? Je n’en vois pas, ou pas qui souhaiteraient des relations équilibrées et non empruntes d’arrière-pensées…

Comme industriel, pouvez-vous nous dire les difficultés rencontrées (manque de cadres formés, existence de corruption, déficits en infrastructures) ?

Il y a bien sûr des difficultés, mais rien d’insurmontable.L’Afrique avance ! La montée des classes moyenne et supérieure en Afrique est fulgurante. Dans les différents sièges de nos sociétés, 95% des employés et cadres sont nationaux. Les salaires de nos cadres de direction sont aux standards internationaux ! Maintenant, il est clair que ceci est permis par l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération qui va révolutionner l’Afrique. Le renouvellement arrive et c’est au bénéfice de tous. 

Maintenant, des handicaps subsistent, notamment le poids du Franc CFA et les contraintes économiques qui y sont liées. A ce sujet, je vous recommande la lecture de l’ouvrage récemment paru de Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, « L’arme invisible de la Françafrique » aux Editions La Découverte. Très éclairant !

Nicolas Sarkozy, dans son discours de Dakar de 2007, avait indiqué qu’à son sens :« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ».  Quel est votre sentiment sur cette question ?

Vous en êtes encore là ?! Ne pouvez-vous pas vous tourner vers l’avenir ? Ces phrases bien ou mal comprises, et leurs auteurs, appartiennent au passé. 

D’autres que moi, bien plus compétents en la matière, ont largement commenté cette déclaration maladroite, tels Ki Zerbo ou Achille Mbembe…Pour faire simple : c’est aux Africains de répondre. Ils étaient interpellés. Ils ont répondu.

D’ailleurs, la question n’est pas de savoir si l’Afrique est suffisamment entrée dans l’histoire, cela ne fait aucun doute, mais les africains se demandent en revanche si l’Europe n’est pas en train d’en sortir !