La guerre du gaz entre l’Algérie et le Maroc

29/10/2024 – La rédaction de Mondafrique

Comme l’a démontré cet été une importante étude de l’IRIS, un des principaux think tanks français spécialisés sur les questions géopolitiques et stratégiques, le  secteur de l’Énergie au Nigeria est marqué par le poids dominant de l’industrie  gazière qui procure 75 % des recettes du budget national et 95 % des revenus d’exportation. Du coup, l’acheminement du gaz vers Europe est l’objet d’enjeux géostratégiques décisifs. L’Algérie et le Maroc s’affontent dans des projets rivaux

Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international

Un navire charge du gaz naturel liquéfié provenant de l’usine de gaz naturel liquéfié du Nigeria, le 12 octobre 2004, sur Bonny Island, au Nigeria.

Nous assistons depuis de longues années à des déclarations contradictoires au plus haut niveau du gouvernement du Nigeria concernant le fameux gazoduc qui devrait être d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes. Des lettres d’intention ont été signées à la fois avec l’Algérie et le Maroc qui, sans engager les différents partenaires, constituent des signaux forts d’une volonté de coopération.

Le  21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Énergie avait  déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays mettait en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. Les  ministres de l’énergie algérien et  nigérian avaient  signé, le 28 juillet 2022, un mémorandum d’entente sur le gazoduc transsaharien, le TSGP, qui devait permettre d’acheminer du gaz nigérian vers l’Europe. Récemment,  dans une déclaration à la presse à l’issue de l’audience qu’il a accordée au ministre du Pétrole de la République du Niger, le 23 septembre 2024,  le ministre de l’Energie algérien  a précisé que les deux parties sont convenues d’aller de l’avant pour concrétiser le projet du gazoduc transsaharien et de tenir une réunion ministérielle des trois pays concernés dans les plus brefs délais.

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a organisé en octobre 2024 un atelier régional à Lagos au Nigeria, pour examiner et valider l’accord du gouvernement nigérian sur le gazoduc atlantique Nigeria-Maroc.

À quel jeu joue le Nigeria?

Or selon l’AFP et Reuters, un autre accord a été signé le 15 septembre 2022 à Rabat au Maroc un  mémorandum  pour la réalisation  de ce projet  entre la CEDEAO et la République Fédérale du Nigéria. L’agence marocaine devait, le 16 juin 2023, faire mentions d’une délégation de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) qui a eu des entretiens  à Abuja, avec le directeur général de la Compagnie pétrolière nationale du Nigeria (NNPC).

Le cabinet marocain d’études, d’ingénierie et de topographie Etafat annonce en ce mois d’octobre le démarrage des premières investigations topographiques du segment nord du gazoduc Nigeria-Maroc, couvrant le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal. Ces études, qui dureront jusqu’au printemps 2025, permettront de définir le tracé optimal du pipeline sur cet axe.

Le gazoduc Maroc-Nigéria, dont le  coût est estimé par l’IRIS entre 25/30 milliards de dollars et la durée de réalisation entre 8/10 ans, mesure environ 6000 kilomètres de long. Ce gazoduc longera la côte ouest de l’Afrique depuis le Nigeria, en passant par le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie , le Sahara occidental  jusqu’au Maroc. Il sera connecté au gazoduc Maghreb-Europe et permettra  d’alimenter les États enclavés du Niger, du Burkina Faso et du Mali. A long terme, il sera connecté au Gazoduc Maghreb Europe et au réseau gazier européen. Le Mémorandum d’entente confirme l’engagement de la CEDEAO et l’ensemble des pays traversés par le gazoduc à contribuer à la faisabilité, aux études techniques, à la mobilisation des ressources et à sa mise en œuvre.

Dans la phase actuelle, les États traversés et la CEDEAO de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ « Tortue » (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Tortue-Ahmeyim. Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline », qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé « Pedro Duran Farell ») via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc.

La gazoduc algérien plus rentable

Le transsaharien devrait transporter à terme des milliards de mètres cubes de gaz nigérian vers l’Algérie en passant par le Niger. L’Algérie pourra ensuite envoyer vers les pays de l’Union européenne du gaz nigérian, via le Transmed qui relie le pays à l’Italie en passant par la Tunisie, et en GNL (gaz naturel liquifié) transporté par des méthaniers.

Le gazoduc passant par l’Algérie devrait être d’une longueur de 4128 km, dont 1 037 km en territoire nigérian, 841 km au Niger, hélas totalement en panne et 2 310 km en Algérie.  Lors de l’Accord d‘entente signé le 3 juillet 2009, le coût était estimé à 10/11 milliards de dollars mais  en 2024, il est estimé à 19/20 milliards de dollars selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Le tracé passant par l’Algérie est plus rentable avec des coûts inférieurs de 8/10 milliards de dollars.

Ce gazoduc doit partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel, en passant par le Niger. Ce projet pourrait être relié au Transmed, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie.

Ce projet est stratégique pour l’Algérie qui a approvisionné l’Europe à hauteur de 19% du total en 2023  et ambitionne d’aller jusqu’à 20-25%.  Selon différents rapports du Ministère de l’Energie ce gazoduc permettra d’accroitre les capacités  d’exportation de gaz,  les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie sont  estimées à environ 2400 milliards de mètres cubes gazeux mais avec une forte consommation intérieure du fait  de la politique des subventions généralisées sans ciblage,  qui approche les exportations actuelles  car pour 2023  le développement des énergies renouvelables, représente  moins de 2%   seulement de la consommation intérieure, ambitionnant  entre 2030/2035 de porter ce taux à 35/40% .

La rentabilité du projet Nigeria Europe suppose quatre  conditions.  

-Premièrement, la faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz, ce qui influe sur la prise de décision de lancer un tel investissement, d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet.

-Deuxièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traversant plusieurs zones instables beaucoup plus pour le projet Maroc que celui de l’Algérie qui peuvent mettre en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés qui déstabilisent la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les États traversés devant négocier pour le droit de passage (paiement de royalties), donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.

-Troisièmement, facteur déterminant du projet, la mobilisation du savoir-faire et du financement devant impliquer des groupes financiers internationaux tant pour le  Maroc que l’Algérie, mais à un degré moindre  ayant les sources de financement .

Quatrièmement, impliquer  l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire impossible de lancer ce projet , l’attitude d de l’Europe étant fonction de sa future structure de consommation é énergétique 2030/235 et donc de  sa politique de transition énergétique.