Dès le début de la guerre au Soudan en avril 2023, le Président tchadien Mahamat Déby a décidé contre la volonté d’une grande partie de l’armée et de son clan familial de soutenir une des deux parties au conflit : le camp du général Hemedti. Ce choix lucratif mais peu judicieux risque fort de se retourner contre lui.
Une chronique de Leslie Varenne
Lorsqu’éclate la guerre au Soudan le 15 avril 2023, Mahamad Déby a remplacé à son père à la tête de l’Etat tchadien depuis deux ans. Les conditions de cette prise de pouvoir anticonstitutionnelle font que ce nouveau président est très contesté. D’abord par la population qui se désespère de cette succession dynastique, ensuite par la famille Déby et sa garde prétorienne.
Gorane par sa mère, le nouvel homme fort du Tchad n’est pas bien accepté par le camp Zaghawa, une communauté toute puissante au sein de l’armée. Pour ne rien arranger, il s’adjoint un directeur de Cabinet, Youssouf Boy, qui appartient lui aussi à l’ethnie Gorane.
Lorsque la bataille commence entre les deux généraux qui dirigent le Soudan, Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Daglo, dit Hemedti, le président tchadien soutient ce dernier. Or, lors de la deuxième guerre du Darfour qui débuta en 2003, Hemedti alors patron des Janjawid, une milice tribale réputée pour sa cruauté avait combattu les Zaghawas, une communauté commune aux deux pays, Tchad et Soudan. Mahamad Déby a donc pris une décision qui n’est pas à même d’être soutenue par son armée et a exacerbé les tensions déjà existantes chez les militaires comme dans son propre camp.
En outre, ce soutien a fait du Tchad une base arrière de cette guerre en alimentant en armes, véhicules et carburant les combattants de cette partie au conflit. Cette aide n’est pas désintéressée car, et c’est un secret de Polichinelle, les Emirats arabes unis sont les sponsors d’Hemedti, bien qu’ils l’aient toujours nié. Depuis 2023, ils ont dépensé des centaines de millions de dollars pour le soutenir, une manne qui ruisselle sur le pouvoir de Ndjamena.
Remaniements tous azimuts
Fin septembre, le Président tchadien a démis Youssouf Boy de ses fonctions. Une décision qui en a surpris plus d’un tant les deux hommes étaient proches. Nombreux sont ceux aussi qui ont alors pensé que cela signait un tournant dans les alliances avec le Soudan. En effet, l’ex directeur de cabinet était considéré comme l’artisan du soutien à l’ancien patron des Janjawid, Mohamed Daglo, dit Hemedti, et à sa nouvelle milice les Forces de Soutien Rapide (RSF).
L’espoir a été de courte durée, puisque quelques jours plus tard, Mahamad Déby s’envolait pour les Emirats arabes unis (EAU) pour rencontrer le président Mohamed Ben Zayed. Au cours de ce séjour, il rencontrait également Hemedti soutenu de longue date par les EAU. Le deal se poursuit donc et pour fêter ça, Abou Dabi a généreusement consenti au Tchad un prêt de 500 millions de dollars à un taux d’intérêt très attractif de 1% !
Rassuré financièrement, les caisses du trésor tchadien étant vides, le président s’est aussitôt attelé à un remaniement pour tenter de conforter son pouvoir. Le puissant patron de la sécurité publique, Charfadine Margui, qui a ppartient à la communauté des Zaghawa, a été évincé pour être rempacé par le général Ahmat Akabach, un arabe. Puis ce fût le tour, du directeur général de la police, de celui de la gendarmerie, du chef d’état-major des armées ainsi que des commandants de la garde nationale.
Dans le climat délétère et asphyxiant qui prévaut au Tchad actuellement, cela suffira-t-il ?
Mahamat Déby en sursis
Rien n’est moins certain. En effet, la guerre au Soudan prend un tour défavorable pour le président tchadien. Le général Al-Burhan à la tête de l’armée nationale est en position de force, sa notoriété augmente considérablement, il a repris une grande partie de Khartoum et inflige des défaites aux Forces de Soutien Rapide (RSF) d’Hemedti. À El-Fasher, fief des Zaghawa, cette milice est en difficulté, combattue par de nombreux volontaires tchadiens.
Mimi Minawi, gouverneur du Darfour et soutien de l’armée soudanaise l’a d’ailleurs confirmé le 23 octobre au micro de RFI : « ils sont nombreux les tchadiens avec nous, certains rentrent puis reviennent ». Dans la foulée, il a ajouté « Il y a beaucoup d’enfants de réfugiés soudanais qui sont entrés au Tchad en 2003, qui sont dans l’armée tchadienne et dans la garde républicaine. Ils sont des officiers de l’armée tchadienne. La position officielle en ce qui concerne le Soudan est refusée par un grand nombre d’officiers tchadiens. » Cette déclaration explique en grande partie les derniers remaniements.
Les opposants tchadiens à la ligne suivie par Mahamat Déby pourraient bénéficier d’un soutien décisif dans les mois qui viennent. Le 17 octobre dernier, le chef d’état-major de l’armée soudanaise a déclaré lors d’un meeting devant ses troupes que lorsqu’il en aura fini avec les RSF, il attaquera le Tchad.
Fragilisé politiquement, économiquement, le pouvoir de Ndjamena est donc aussi suspendu à la résolution du conflit soudanais…