Réseaux sociaux, « Algérie, mon amour » provoque une tempête de haine

29/05/2020 – La rédaction de Mondafrique

Le documentaire «Algérie mon amour», réalisé par le journaliste du Monde Mustapha Kessous et diffusé -mardi 26 mai sur la chaîne de télévision France 5, a suscité de vives critiques de la part de quelques acteurs du Hirak, le mouvement de protestation qui a mis des millions d’algériens dans la rue avant l’épidémie du coronavirus.

C’est un petit documentaire de 70 minutes intitulé «Algérie mon amour» qui va être à l’origine d’une tempête de haine sur la toile algérienne. Pourtant les militants du Hirak ont accueilli favorablement l’annonce de ce premier documentaire de la télévision française consacrée à la jeunesse algérienne en pleine révolution populaire

« Des adolescents mal dans leur peau »

Après la diffusion du documentaire, la toile algérienne s’embrase. Les militants du Hirak se sentent trahis. Les protagonistes du film ne ressemblent pas aux prototypes des militants anti-régime.

Nadia, une psychologue de Tizi Ouzou évoque le statut de la femme et le code de la famille qui la tient éternellement pour mineure.

Anis le jeune amateur de hard-rock rêve d’une Algérie où il ne sera plus obligé de se cacher dans des dikkis– garçonnières de misère- pour boire de l’alcool, aimer sa petite amie et faire la fête pour «  se défouler ».

Athmane, l’avocat Kabyle, non plus n’était pas conforme au militant du Hirak politiquement correct puisque ce militant des droits de l’homme a le toupet de défendre des désespérants du MAK, le mouvement indépendantiste kabyle.

Hania, la fille de la Casbah dont le père a été assassinée par des intégristes est accusée elle d’avoir longuement parlé de son humiliante garde à vue dans un commissariat d’Alger sans évoquer le sort des prisonniers politiques.

Enfin l’ingénieur ornais Mehdi avoue qu’il ne croit plus aux promesses du Hirak en prononce la phrase qui fait mouche « Ce n’est pas seulement le Système politique qu’il faut changer dans ce pays, mais la mentalité de toute une société qui étouffe ses enfants ».

Pour les figures politiques du Hirak, ce documentaire n’est qu’une diversion, un complot ourdi par la France avec la complicité du régime des généraux algériens. Mustapha Kessous aurait sciemment «dépolitiser le mouvement de protestation pour réduire les revendications des algériens mobilisés tous les vendredi depuis un an à des problématiques sociétales et d’adolescents mal dans leurs peaux ».

La diversité du Hirak mise à mal

Un des activistes du mouvement de protestation Jugurta Aissaoui fustige « les raccourcis » dans le documentaire «Malheureusement c’est une atteinte au hirak, une atteinte à cette magnifique révolution, en réduisant les revendications du hirak à la frustration d’une partie de la jeunesse. Je cite, la masturbation, l’envies d’aller en boîte de nuit, fumer, boire …..», condamne-t-il sur sa page Facebook. Ce coup de menton du régime d’Alger a déstabilisé les hirakistes qui avaient passé la nuit à vilipender le documentaire. Face au documentaire français réalisé par un franco-algérien « suspect » le régime et sa principale opposition sans tête, le Hirak,  sont sur la même ligne !

Pour la première fois depuis le 22 février 2019. Mokrane Aggoune, un militant très critique vis à vis de certaines figures radicales du mouvement populaire tire la sonnette d’alarme en condamnant « des réactions déchainées au point de diffuser les coordonnées du journaliste et d’appeler à son lynchage. Ces « critiqueurs » de circonstance débattent-ils avec autant d’ardeur de la culture totalitaire, anti-démocratique et complotiste du système qu’ils reproduisent à satiété ? » tone-t-il

« Pour comprendre la violence de leurs réactions, il faut mesurer l’immense attente des Algériens avant la diffusion de ce documentaire, qui est pratiquement le premier sur le Hirak», explique au quotidien Libération Akram Belkaïd, journaliste au Monde diplomatique. «Avec le titre Algérie, mon amour, ils espéraient voir un film à la gloire du mouvement de révolte et du pays. Mais les gens ne se sont pas reconnus dans les personnages qui ne reflètent pas la diversité du Hirak, en particulier parmi les milieux populaires qui restent très conservateurs», ajoute-t-il.

Traînés dans la boue par les internautes algériens, les cinq protagonistes du documentaire Algérie, Mon amour ont du réagir. Certains en assumant leurs propos, comme la psychologue de Tizi-Ouzou, d’autres en parlant de manipulation comme le jeune Anis. «Bien que j’assume ce mode de vie, je tiens à ma vie privé et elle a été violée par un réalisateur peu scrupuleux qui a voulu faire le buzz», confie-t-il la gorgé nouée dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux, accusant au passage le réalisateur d’avoir mis en danger les jeunes filles qui l’accompagnaient, car elles n’ont pas été floutées à l’image «  contrairement à ce qu’il nous avait promis de faire ».

La jeune technicienne de cinéma, Hania Chabane accusée quant à elle de vouloir salir l’image du Hirak peine à répondre à ses détracteurs dans une interview au site l’Avant-Garde Algérie. « Je n’ai jamais vu autant de haine ni reçu autant de menaces de ma vie», a-t-elle déclaré Je ne comprend pas ce que j’ai fais de mal pour qu’on s’en prenne à moi avec cette violence ?». Cette polémique n’a fait qu’accentuer les profondes dissensions qui menacent le mouvement.  Actuellement confiné et néanmoins toujours surveillé par les autorités d’Alger, le Hirak qui croyait tout gagner avec le documentaire de France 5 sort de cette séquence un peu plus discrédité.

Pas de chasse gardée

Le sentiment le plus partagé après cette affaire est résumée par Lydia Haddag qui se définit comme «  Epicurieuse à Paris. Epicurienne à Alger.… »: « Dernier post avant de redésactiver ce réseau où on évolue dans une bulle qui favorise l’entre-soi et les tempêtes dans un verre d’eau, surtout avec le confinement. Je suis vraiment peinée de voir comment tout et n’importe quoi peut déchainer les passions chez des ami.esmilitant.es, et comment l’effet de groupe devient grisant et limite, flippant. Si ça peut vous « rassurer », les chiffres de l’audimat indiquent qu’en France, 2,6% du public a regardé France 5, contre par exemple 27% des personnes qui ont préféré voir Harry Potter et les reliques de la mort la même soirée (J’aurai dû aussi). En dehors du virtuel, les Français ont une vie, les Algériens aussi. Rien que pendant Ramdan des arrestations scandaleuses n’ont pas fait couler autant d’encre, les réactions n’ont jamais fait peur à l’Etat. La case prison est banalisée, on l’invoque pour tout et rien. Un graffiti a provoqué un séisme médiatique. Il y a eu une émission sur la dégoutante Ennahar TV qui a eu le mérite de montrer les conditions de vie indignes de familles algériennes, qui n’ont même pas le temps d’épiloguer sur Facebook. Leurs témoignages empêchent de dormir la nuit. A trop vouloir protéger la sacro-sainte « image du Hirak », je crois qu’on perd de vue la réalité : que l’Algérie ne se résume ni à des groupe virtuels, ni à des sourires le vendredi, que les autres jours de la semaine, il y a des Algériens qui peuvent être dégoutés, ennuyés, tristes, et alors ? Le Hirak n’est la chasse gardée de personne. Le dernier minable de ce pays est aussi algérien que vous ….

Une presse française unanime

Toute la presse française a annoncé le documentaire. Il faut dire que Mustapha Kessous n’est pas n’importe qui, il dirige la page Télé-Radio du quotidien de référence. Ses collègues des autres titres de la presse française lui ont troussé des jolis articles. Sorj Chalandon dans le Canard lui consacre un papier élogieux. Télé-Obs, par la plume de Nebia Bendjebbour salue un «  passionnant » documentaire.

Mustapha Kessous a également mobilisé la presse algérienne dans sa campagne de promotion. Dans les colonnes d’El Watan Mustpaha Kessous se présente comme un Algérien vivant en France qui, en allant à la rencontre de la jeunesse algérienne mobilisée par le Hirak,  voulait savoir ce qui se passait dans son autre pays. « J’ai envie de croire que le régime, après avoir vu mon film se dira : «Nous sommes allés trop loin » dit-il modestement.

De la naïveté? Ou de l’arrogance? Chacun en jugera. Mais la relation franco-algérienne en sera la principale victime!
https://twitter.com/France5tv/status/1265370117967314947?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1265536299181752323&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.middleeasteye.net%2Ffr%2Factu-et-enquetes%2Falgerie-hirak-documentaire-kessous-france5-polemique

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