Cameroun, la banalisation de la torture

06/05/2019 – La redaction de Mondafrique

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait condamner les abus en matière de droits humains qui deviennent monnaie courante au Cameroun et demander des réformes

(Nairobi, le 6 mai 2019) – Les autorités camerounaises ont torturé et détenu au secret des personnes dans un centre de détention à Yaoundé, la capitale du Cameroun, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des gendarmes et d’autres forces de sécurité au Secrétariat d’État à la défense (SED) ont pratiqué de graves passages à tabac et des quasi-noyades pour obtenir des aveux de détenus suspectés d’avoir des liens avec des groupes séparatistes armés.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait mettre la situation au Cameroun à son ordre du jour, condamner la torture et la détention au secret et appeler le gouvernement à mettre fin à ces pratiques, a déclaré Human Rights Watch.

« Au cours de l’année passée, les forces de sécurité au Cameroun ont recouru à la torture sans crainte de répercussions », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait envoyer un message clair indiquant que la cessation de la torture en détention est capitale pour répondre à la crise dans les régions anglophones. »

Human Rights Watch a documenté 26 cas de détention au secret et de disparitions forcées au centre de détention du SED entre janvier 2018 et janvier 2019, dont 14 cas de torture. Le nombre total est probablement bien plus élevé, parce que les abus sont commis dans le plus grand secret et de nombreux anciens détenus sont réticents à parler par peur de représailles. Human Rights Watch a reçu d’autres récits dignes de foi depuis avril, indiquant que ces violations continuent.

La torture est endémique depuis longtemps dans le système militaire et d’application des lois au Cameroun, notamment à l’encontre des personnes suspectées d’être des membres ou des partisans du groupe armé Boko Haram ou de groupes séparatistes armés. Les autorités détiennent des personnes au secret et torturent des détenus au SED depuis 2014 au moins. Les méthodes de torture documentées par Human Rights Watch, y compris des passages à tabac sévères et des quasi-noyades, ont aussi été utilisées à la fois dans des établissements de détention officiels et non officiels, illégaux, dans le pays.

Parmi les personnes interrogées, trois ont déclaré être d’anciens combattants séparatistes ; les autres ont dit être des civils. Quatorze ont fait état d’abus physiques qui constituent des actes de torture et onze ont indiqué avoir été témoins de torture sur d’autres détenus et avoir subi des menaces. Les 26 détenus, y compris deux femmes et un enfant de 18 mois, ont tous été placés au secret au SED, entre janvier 2018 et janvier 2019, beaucoup pendant plusieurs mois, sans aucun contact avec leur famille, leurs amis ou leur conseiller juridique.

Les familles et les avocats des anciens détenus, ainsi que des experts légistes, des photos, des vidéos et d’autres sources ont corroboré les récits. À l’exception des deux femmes et de l’enfant, qui ont tous été relâchés, les autres ont en fin de compte été présentés à des procureurs militaires et inculpés pour crimes en vertu de la législation contre le terrorisme de 2014 du Cameroun.

Cinq anciens détenus ont expliqué que leur présence au SED a été cachée aux observateurs internationaux, y compris au Comité international de la Croix-Rouge, dont les délégués ont visité le site en juillet 2018.

Les gendarmes et d’autres agents au centre de détention ont fait usage de torture et d’autres mauvais traitements pour contraindre les suspects à avouer des crimes ou pour les humilier et les punir, ont précisé les anciens détenus. Suite aux interrogatoires qui pouvaient inclure de la torture, ils ont été forcés de signer des déclarations qu’ils n’ont pas été autorisés à lire ou qu’ils n’ont pas pu lire parce qu’elles étaient rédigées en français.

Un mécanicien automobile du département de Ngo-Ketunjia, dans la région du Nord-Ouest, qui a été détenu au centre pendant une année avant d’être transféré à la prison centrale de Yaoundé au début de l’année 2019, a décrit les mauvais traitements qu’il a subis : « Les gardes utilisaient tous les objets qu’ils pouvaient trouver à proximité pour nous frapper, comme des spatules de cuisine, des pierres, des bâtons et des câbles électriques. Ils nous ont battus comme du bétail. »

Le traitement des détenus au SED enfreint la loi camerounaise et le droit international relatif aux droits humains. Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture, qui interdisent tous les deux la torture et les autres mauvais traitements. La détention au secret prolongée est une forme de peine ou de traitement cruel, inhumain et dégradant. En vertu du droit international, la torture est un crime soumis à la compétence universelle, ce qui signifie que tout pays peut juger de tels actes indépendamment du lieu où le crime a eu lieu ou de la nationalité de l’auteur des abus ou de la victime.

Les anciens détenus ont indiqué que parmi ceux qui les maltraitaient figuraient des agents de la gendarmerie de rang subalterne et intermédiaire. Les anciens détenus ont fourni les noms de 27 agents ayant commis des actes de torture, dont trois qui ont été mentionnés séparément par au moins 12 détenus qui avaient été soit soumis à de la torture soit témoins de torture dans l’établissement en 2018.

Les tribunaux et la gendarmerie ont ignoré les allégations de torture soulevées aux procès et les demandes des avocats pour faire cesser la détention au secret. Les avocats ont indiqué que les juges ont rejeté les allégations de torture des prévenus et n’ont pas ordonné d’enquêtes rapides et impartiales sur les allégations de torture, comme exigé par la loi nationale et le droit international relatif aux droits humains.

Les séparatistes armés au Cameroun ont aussi commis de graves abus, y compris des attaques contre des écoles, des meurtres, des enlèvements et de l’extorsion. Human Rights Watch a confirmé trois incidents distincts depuis août 2018, dans lesquels des combattants séparatistes ont blessé sept civils, et des dizaines d’autres cas d’attaques apparemment illégales contre des ouvriers agricoles dans des plantations de bananiers près de Tiko, dans la région du Sud-Ouest. En janvier 2019, des séparatistes armés ont battu sévèrement un homme de l’ethnie Fulani à coups de bâtons et de machettes dans le département de la Momo, dans la région du Nord-Ouest. Les leaders séparatistes devraient donner des ordres clairs pour empêcher les combattants d’attaquer des civils et de maltraiter les personnes qu’ils détiennent, a déclaré Human Rights Watch.

Le gouvernement camerounais a publiquement affirmé que la détention non officielle et la torture n’existent pas au Cameroun. Toutefois, le gouvernement n’a pas répondu au courrier de Human Rights Watch présentant ses conclusions et demandant une réponse à des questions spécifiques.

Les autorités camerounaises devraient immédiatement cesser l’usage de la torture et des autres mauvais traitements au SED et dans les autres établissements de détention, a expliqué Human Rights Watch. Elles devraient mettre fin à la détention au secret et garantir que tous les détenus ont accès à leur avocat et aux membres de leur famille et reçoivent des soins médicaux appropriés.

Les autorités devraient mener rapidement des enquêtes crédibles sur toutes les allégations de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants au SED et dans tous les autres lieux de détention. Elles devraient s’assurer que tout le personnel des forces de sécurité et les autres agents des lieux de détention soient correctement sanctionnés ou traduits en justice. Les hauts responsables devraient rendre des comptes du fait de la responsabilité de commandement.

En l’absence d’effort sérieux du gouvernement camerounais pour aborder le problème de la torture, les partenaires internationaux du Cameroun devraient reconsidérer leur soutien, y compris la formation et le développement de capacités, aux institutions directement impliquées dans ces atteintes aux droits humains.

« La responsabilité du gouvernement camerounais de protéger sa population face aux groupes armés ne justifie jamais l’usage de la torture », a conclu Lewis Mudge. « Pour restaurer la confiance, le gouvernement devrait respecter l’État de droit en mettant fin aux pratiques illégales et en traduisant les responsables en justice. »

Pour plus d’informations sur la torture et la détention au secret au SED, veuillez lire la suite.

Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur le Cameroun, veuillez suivre le lien :

https://www.hrw.org/fr/africa/cameroon