Les tractations qui ont précédé l’arrestation de Toufik et de Bouteflika

06/05/2019 – Nicolas Beau

La décision de Gaïd Salah, le patron de l’armée algérienne, de traduire en justice Said Bouteflika et le général Toufik, a été précédée d’intenses négociations dans la nuit de vendredi 3 au samedi 4 mai au sein de l’institution militaire.

Il ne faut jamais oublier que le pouvoir algérien a toujours été collégial et qu’il le reste. Apparemment le patron de l’armée et actule maitre des horloges politiques à Alger, Gaïd Salah, n’est en réalité que « le primus inter pares ». Il lui faut, avant d’agir, obtenir un consensus au sein du conseil qui réunit régulièrement les vingts plus hauts gradés de l’armée algérienne. L’institution militaire fonctionne au consensus, qui seul fonde l’autorité fragile du chef d’état major.

D’où les déclarations apparemment contradictoires de Gaïd Salah et le sentiment qu’il donne parfois d’avancer d’un pas pour reculer, le lendemain, de deux. Avant les interpellations spectaculaires du samedi 4 mai, le patron de l’armée a du obtenir l’accord de ses pairs dans la lutte engagée contre le général Tourik, le tout puissant patron du DRS (services algériens) entre 1990 et 2015 et son adversaire résolu.

Un consensus laborieux

Beaucoup au sein de l’institution militaire algérienne qui ont le culte du secret chevillé au corps ne souhaitent pas particulièrement laver leur linge sale en famille, et encore moins devant les tribunaux. Il existe chez eux des méthodes plus expéditives de régler leurs différents.

La décision de traduire en justice les généraux Mediène, dit Toufik, et Tartag, dit Bachir, les patrons successifs des services algériens ainsi que Saïd Bouteflika, le vice roi du régime algérien sous le règne de son frère, avait été arrêtée, depuis une quinzaine de jours, par un Gaïd Salah résolu à frapper fort.

Encore lui fallait-il réunir un solide consensus chez ses pairs, ces patrons des régions militaires, ces responsables de la gendarmerie et des services et ces chefs de corps d’armée qui seuls légitiment aujourd’hui ses prérogatives.

L’avertissement de la rue

Le vendredi 3 mai dans la soirée, les événements pourtant se précipitent. Brandis lors du 11ème vendredi de contestation, le 3 mai, les slogans repris par les manifestants ont véritablement pris de court le vice-ministre de la Défense et patron de l’armée, en fonctions depuis 2004. Pour avoir été un des principaux responsables du régime algérien honni aux cotés d’Abdelasiz Bouteflika, qu’il a défendu jusqu’au bout, Gaïd Salah est aujourd’hui assez naturellement ciblé par les manifestants. « L’armée appartient au peuple, veut croire la rue algérienne, et non à Gaïd Salah ».

Soudain inquiet, le général Gaïd Salah appelle au téléphone tous les grands généraux de l’Armée populaire nationale pour les convaincre de procéder à l’arrestation du duo Mohamed Mediene et Said Bouteflika, déjà pointés du doigt comme agents comploteurs dans plusieurs de ses discours.

Péril en la demeure

Fin stratège, le vieux général a senti qu’il y avait, péril en la demeure. Il ne fallait à aucun prix que l’Etat profond, où l’on retrouve les beaux restes des réseaux de l’ancien DRS (services algérien), n’exploite un possible divorce entre l’Etat major la mobilisation populaire. Et puis face à la mobilisation populaire, il n’est jamais inutile de faire tomber de nouvelles tètes. Il fallait agir, et vite !

Consultés, les hauts gradés ont donné un feu vert à l’ami Gaïd. Le samedi 4 mai, les généraux Mediène et Tartag ainsi que Saïd Bouteflika étaient emmenés par les forces de l’ordre au tribunal militaire militaire de Blida. Les premiers sans résister, le second moins conciliant, ce qui explique que les agents aient du lui passer les menottes.

Le général Toufik et Said Bouteflika s’étaient rapproché ces dernières semaines après s’être livré en 2015 une guerre féroce qui s’était conclue pour le premier par une retraite prématurée. L’ennemi commun, Gaîd Salah, qu’ils voulaient écarter d’un processus de transition qu’ils auraient controlé, a provoqué leurs retrouvailles dans des conciliabules secrets, notamment au club des Pins resté le club huppé de la nomenklatura. Les deux hommes ont tenté, mais sans succès, d’élaborer toutes sortes de scénarios pour éliminer leur ennemi commun.

Ils risquent aujourd’hui entre cinq et dix ans d’emprisonnement pour « complot contre l’autorité de l’Etat ». La roue tourne rapidement en Algérie. Et plus personne n’est vraiment à l’abri de ce qui s’apparente aujourd’hui ç une vraie révolution.