Le Soudan n’est pas une réplique du printemps arabe

25/04/2019 – La redaction de Mondafrique

Jehanne Henry, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch, milite pour un transfert effectif du pouvoir au peuple soudanais. Un entretien avec Louisa Benchabane

Le 11 avril, le peuple soudanais a fait partir son dictateur, Omar El-Béchir, qui régnait depuis 30 ans. Mais dans le troisième plus grand pays d’Afrique, l’issue du bras de fer entre les civils et les militaires demeure incertaine. Le Conseil militaire de transition (CMT), qui a pris la succession d’Omar El-Béchir, est composé enn effet de proches du dictateur

Mondafrique: Les manifestations au Soudan qui réclamaient le départ d’Omar Rl-Béchir (voir sa photo ci dessus) ont démarré notamment en raison  de la cherté de la vie. En 2011, la crise économique avait déclenché le « printemps arabe ». Mais ces révolutions ont permis, voici huit ans, aux groupes islamistes d’accéder démocratiquement au pouvoir et de mettre en application leurs programmes. Le situation au Soudan est-elle comparable à celle qu’ont vécu en 2011 la Tunisie et l’Égypte?

Jehanne Henry La question primordiale est celle du rôle que va jouer l’Islam politique dans le futur gouvernement du Soudan. Le pays n’est pas très radicalisé mais il existe quelques petits groupes de leaders qui ont fait usage d’une idéologie radicale et de la propagande pendant leurs carrières. Il faut déterminer quelle place ils auront sur l’échiquier politique. Les frères musulmans sont au porte du Soudan, en Égypte. Ce pays doit agir pour les empêcher de profiter de l’instabilité soudanaise pour y trouver refuge. La collaboration entre le Soudan d’Omar El-Bachir et l’Égypte d’Abdel Fattah El-Sissi n’a pas cessé de croitre ces dernières années sur la question de la sécurité.

Au départ, les civils avaient décidé de manifester, car les prix des denrées alimentaires avaient considérablement augmenté. Depuis les revendications sont devenues politiques.

Mondafrique: En 2013 des protestations ont vu le jour au Soudan. Elles ont entrainé la mort de 200 manifestants et se sont stoppées nettes. Aujourd’hui le nombre de morts suite aux manifestations est aussi élevé mais le mouvement ne s’affaiblit pas. Comment expliquer le maintien de cet élan démocratique?

J.H. Aujourd’hui, la violence s’étale dans le temps. On a beaucoup de manifestants qui ont été tué, mais sur une période plus longue donc ça paraît moins dramatique. Le mouvement est beaucoup plus structuré et ancré dans la société civile. Les femmes descendent dans la rue, beaucoup plus qu’en 2013. Le mouvement  rassemble aussi des groupes professionnels, des personnes du secteurs privé. La contestation a gagné du terrain et touche l’ensemble des couches sociales.

Mondafrique: Lors du « printemps égyptien », l’armée facilitait les manifestations en s’engageant à ne pas faire usage de la force pour faire tomber Moubarak.  Au Soudan, l’armée est à l’origine du putsch qui a destitué Omar El Béchir. Quel regard portent les manifestants sur l’Armée?

J.H. L’armée n’est pas vue comme un ennemi au Soudan. Désormais les Soudanais demandent que les militaires qui ont mené ce grand putsch, donnent les clefs du pouvoir aux civils. 

Certains de ses commandants et soldats soutiennent les manifestations. C’est ceux qui sont aux plus hauts postes qui restent du côté du régime. 

Les membres de la NationalIntelligence and Security Service (NISS) sont accusés d’être à l’origine de la mort de beaucoup de manifestants. Cette agence de renseignement est composée de brigades de l’ombre, de milices ralliées au régime.

Les Soudanais ne demandent pas que les forces militaires  soient nécessairement de leur coté, mais qu’elles soient au moins neutres et respectables.

Ils savent que l’armée a participé au exactions au Darfour.

Mondafrique: Plusieurs dirigeants Soudanais comme Omar El-Béchir, président déchu et chef de l’armée ont été impliqué dans des crimes commis au Darfour, Une région qui a été le théâtre d’un conflit entre les rebelles et l’armée gouvernementale, provoquant une grave crise humanitaire. Y a-t-il des chances de voir leurs procès se rouvrir?

J.H. Les nouveaux dirigeants devront collaborer avec la cour pénale internationale pour livrer Omar Al-Bachir et Ahmed Haroun, afin de les faire comparaitre pour les crimes commis au Darfour. C’est l’institution qui a les compétences  pour statuer sur la question du Darfour. Certains de ces dirigeants sont encore au pouvoir. On peut citer le numéro 2 du conseil militaire que l’on nomme Hemmeti. Il a été responsable de crimes contre l’humanité. Sa place au conseil militaire ne devrait pas lui donner le droit à une immunité. C’est très préoccupant de le voir toujours exercer ce poste.

Human Right Watch demande que des investigations soient menées sur tous les membres du régime, même ceux encore en exercice. À l’échelle du Soudan, je ne crois pas qu’ils seront inculpés pour les crimes commis au Darfour. Mais on peut être optimiste.

Mondafrique: Le dictateur a été destitué, des prisonniers politique détenus depuis le début des manifestations en 2018 ont été libéré. Les victoires se succèdent. Que peut-on espérer pour le futur du Soudan?

J.H. On maintient l’espoir du transfère des pouvoirs vers un gouvernement civil. Les pays voisins du Soudan dont l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Libye, l’Ethiopie, l’Ouganda et le Soudan du Sud ont un rôle à jouer. 

La révolution pose des bases solides pour le respect des droits de l’hommes.  Les nouveaux dirigeants ont l’opportunité d’entrer dans une nouvelle ère, d’affronter le passé pour aller de l’avant, d’éradiquer les discriminations et les répressions, qui ont été un fléau sous le mandat d’Omar El-Béchir. Les Soudanais sont fiers de leurs diversité, d’être tolérants. Le prochain dirigeant doit être à leur image. 

Propos recueillis par Louisa Benchabane