Algérie, les manoeuvres du camp Bouteflika

11/03/2019 – Nicolas Beau

Un cercle familial étroit s’est substitué à un Abdelaziz Bouteflika incapable d’exercer ses fonctions et impose son propre calendrier à la transition démocratique que des millions d’Algériens réclament pacifiquement en manifestant dans les rues.

La situation algérienne qui suscite des espoirs immenses présente quelques aspects surréalistes. Au sein de la Présidence algérienne devenu un théâtre d’ombres depuis le retour de Genève d’un Bouteflika sous assistance médicale permanente, une petite camarilla tente de conserver le pouvoir. C’est un cercle familial étroit qui, ces derniers jours, a rédigé les trois missives attribuées attribuées de façon grossière au chef de l’Etat. La première de ces lettres avait annoncé, le 3 mars, la candidature du chef de l’état; la seconde, trois jours plus tard, avait mis le peuple algérien en garde sur les risques de chaos que feraient courir les mobilisations populaires; enfin, le troisième texte, rendu publique le lundi 11 mars dans la soirée, annonçait le renoncement du chef de l’état à un nouveau mandat, la convocation d’une conférence nationale et l’organisation des futures élections.

De nombreuses interrogations

On y apprend, au détour d’une phrase, que le président algérien n’aurait jamais songé à se représenter pour un cinquième mandat. Autant dire que des millions d’algériens descendus dans les rues les 1et et 8 mars auraient juste été victimes d’hallucinations. La communication de la Présidence relayée par quelques sites amis pourrait être moins mensongère, si elle veut désamorcer la colère populaire.

Après ce coup de théatre, les interrogations restent nombreuses. Qui a écrit ces missives? Quelle est la légitimité de leurs inspirateurs? Qui dirige aujourd’hui le bateau ivre qu’est devenu le gouvernement algérien? Quels conclaves s’attribuent aujourd’hui la maitrise du calendrier de la transition qui s’annonce? Autant de questions auxquelles il est indispensable de répondre si le peuple algérien veut éviter les réveils amers

La vacance du pouvoir

La coupole familiale qui prétend s’imposer à la Présidence aen pleine vacance du pouvoir légitime, comprend quatre personnages clés: les deux frères du Président, Nacer et Said Bouteflika, « la plume » du chef de l’Etat, Mohamed Benamar Zerhouni, et enfin le bras armé de ce cercle de fidèles, le général Tartag, coordinateur des services de renseignement resté totalement loyal à l’égard du clan présidentiel.

Le premier de ces usurpateurs et le plus connu reste Said Bouteflika, longtemps vice roi du régime. On la vu, ces dernières années, monopoliser l’accès de la chambre de son frère, qui faisait l’objet de soins permanents, et parler en son nom. C’est lui qui en véritable Régent distribuait des gâteries financières démesurées à ses amis oligarques, sans oublier de se servir son propre clan sur des comptes que la famille possède, de notoriété publique, chez les très hospitaliers émiratis.

Ces derniers jours, Said Bouteflika, gravement malade lui aussi, effectue des voyages fréquents à l’étranger pour se soigner. Le bateau gouvernemental prends l’eau de partout, les corporations qui soutenaient traditionnellement le régime, se fissurent et l’ami Said est dénoncé comme le premier responsable de la débâcle. Son nom est hué par les manifestants en colère. Pour toutes ces raisons, il n’est plus en mesure de jouer le premier rôle au sein du cercle des fidèles. .

C’est Nacer Bouteflika, secrétaire général du Ministère de la formation et de l’enseignement professionnel, qui est devenu le véritable chef de famille. C’est lui qui veillait sur son frère Abdelaziz à l’hôpital de Genève ces derniers jours. Et lui encore qui tente d’assurer la cohésion et l’immunité du clan dans la difficile phase actuelle.

Le clan de Nedroma

Ces dernières semaines, les deux frères Bouteflika se sont rapprochés de Mohamed Benamar Zerhouni, vaguement ministre durant la décennie noire et devenu un discret conseiller à la Présidence. C’est ce fidèle entre les fidèles qui rédige les missives censées exprimer les directives d’un président Bouteflika mourant.

Inconnu du grand public, cet homme de l’ombre présente l’immense qualité d’être originaire d’une commune proche de Tlemcen du nom de Nedroma. Sous le règne de l’actuel Président, un grand nombre de natifs de cette commune, fief des Bouteflika, ont été promus walis, généraux ou ministres. Ces cercles constituent l’ultime garde rapprochée de ce régime finissant.

Le clan Bouteflika peut enfin compter dans sa débâcle sur le patron du renseignement, le général Tartag, préposé aux basses oeuvres depuis sa nomination en 2015. Pour combien de temps? L’hostilité que vaut à Tartag le chef d’état major, Gaïd Salah, véritable maitre des horloges sécuritaires, et les dossiers sombres qu’il traine pour avoir été un des initiateurs de la répression des années noires, laissent penser que ses jours à la tète des services secrets algériens pourraient être comptés.

Bedoui, un inconditionnel de Nacer

Premier signe flagrant de la permanence du régime, le camp Bouteflika est parvenu à imposer un de ses hommes à la tète du gouvernement qui devra gérer la transition à venir. La candidature de l’ancien ministre des Affaires Etrangères Lamamra, une personnalité indépendante et fort bien perçue des Français et des Américains, avait été envisagée. Mais le clan familial a préféré en définitive imposer comme chef de gouvernement l’actuel ministre de l’Intérieur et grand ami de Nacer Bouteflika, Noureddine Bedoui, un des leurs depuis toujours.

Cinquième mandat ou pas, le clan Bouteflika reste, pour l’instant, aux commandes. A quel prix? On le saura lors des prochaines mobilisations populaires qui pourraient ne pas bénéficier de la neutralité des forces sécuritaires.