Le peuple algérien, la variable qu’on avait oublié

03/04/2019 – La redaction de Mondafrique

Pour l’universitaire Mohand Tamgout, les mobilisations popuplaires de grande ampleur qui ont lieu en Algérie bouleversent totalement la donne politique durant le règne d’Abdelaziz Bouteflika

« Nous avons de l’expérience dans la maitrise de la rue », expliquait l’ex Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia avant que ne se produisent les spectaculaires mobilisations populaires. Les slogans scandés – « Non au cinquième mandat »- furent une réplique magistrale à l’égard d’un pouvoir qui avait juste oublié, dans sa morgue, de dissoudre un peuple. La vitalité d’une jeunesse avide de prendre son destin en main bouscule l’édifice d’un pouvoir en fin de cycle.

L’étonnement dépasse tout entendement

Cette pression populaire s’est exprimée en grand nombre et sans violence sur un large maillage territorial. Le civisme déployé, l’organisation orchestrée, sont autant de leçons d’une jeunesse que le pouvoir croit, inconsciente, et de surcroit, condamnée à l’immaturité politique. Les slogans scandés, les voix exprimées sont autant de messages  destinés à un pouvoir sourd et aveuglé, mais surpris par l’ampleur du succès.

Dorénavant, il faut intégrer cette nouvelle force dans les calculs politiques, mais aussi dans toute initiative de dénouement de la crise actuelle. En peu de temps, les manifestations se sont mutées en une pression populaire incontournable dans l’equation politique. Une fois, l’élan citoyen confirmé, par les manifestations du 22 février, il serait urgent de maintenir cette dynamique enclenchée  dans une temporalité et faire émerger des nouvelles têtes, un sang nouveau, des idées nouvelles, un projet alternatif.

Face à un système gérontocratique, la pression exercée par cette jeunesse, peut s’affirmer comme pont intergénérationnelle, disposée à jouer un rôle déterminant pour l’avenir du pays. Il s’en suivra des manifestations futures dans les universités, les sphères syndicales, et le milieu associatif et les corporations par branches de métiers. C’est toute la société civile qui s’active pour ses droits citoyens.

La globalisation de la contestation populaire drainera de larges segments de la société intensifiant ainsi  sa force dissuasive sur un système en posture défensive.  A ce titre, Il ne lui suffit pas de canaliser le mécontentement mais se déployer dans l’espace politique comme force de proposition face à un pouvoir finissant et une opposition stérile. Au-delà du caractère louable et légitime des revendications, la pression populaire de la jeunesse doit se structurer pour exister et s’imposer comme acteur incontournable pour le devenir du pays. Si, elle a réussi à faire abstraction de tous les clivages idéologiques, identitaires, et autres, elle a, en même temps, réussi à redonner de l’espoir, et une fierté à tout un peuple trahi par un pouvoir prédateur. 

L’équation Pouvoir Opposition est caduque

Pouvoir et opposition sont deux entités qui se regardent constamment  en chien de faïence. Deux protagonistes qui abordent la crise algérienne selon l’enjeu et l’intérêt, maintien du pouvoir pour l’un et conquête de ce même pouvoir pour l’autre.  Quant à la pression populaire, elle  ne s’inscrit pas dans cette logique de basse manœuvre. Elle procède à un changement par le bas en aspirant d’abords à soulever la masse conscientisée  pour la porter vers  une ère nouvelle, une Algérie renouvelée.  Loin des méandres d’un système qui a déjà fait son temps et qui tend à s’imposer par la ruse, la cooptation, la corruption et enfin la violence en dernier recours.

Le pouvoir effectif a subi des soubresauts, il s’est recomposé depuis la restructuration des services de sécurité en 2015. Il est désormais incarné par le duo Présidence-ANP qui continu à faire bon ménage en dépit des divergences intrinsèquement liées  au jeu de pouvoir. Une série de changement opéré au sein des corps constitués, par limogeage, mise en retraite, mais aussi  par l’arrestation d’officiers supérieurs, et d’autres scandales sont autant le signe d’instabilité chronique  du Duo ANP présidence.

L’instabilité du couple, lié plus par la raison plus que par les affinités, perdure  et projette  des plans élaborés en catimini et abandonnés en cours de route sans trouver des solutions pérennes.  Du report des présidentielles à la mise en place d’une phase transitoire, des vœux pieux qui n’ont pas trouvé preneurs. Le pouvoir opte finalement pour le 5ème mandat. Ces errements  sont des signes qui dénotent un état esprit de méfiance, mais qui ont aussi mis à nu le déséquilibre  des rapports de forces inhérents au fonctionnement naturel du système. Le Duo ANP Présidence peine à trouver un semblant d’harmonie.

L’opposition, elle, a du mal à se rassembler sur un projet commun capable de malmener le pouvoir dans ses tranchés. Issue dans sa grande majorité du pouvoir, ou ayant composé avec lui, elle souffre d’un déficit de crédibilité auprès de la  population qui a déserté ses arènes. Les tentatives de rassemblement autour d’un projet commun n’ont jamais été couronnées, sans doute faute de leadership. La trajectoire de l’opposition algérienne s’assimile aux courbes sinusoïdales, tantôt rigide dans sa posture, et souvent ambivalente dans son attitude, face à un pouvoir intransigeant. N’arrivant pas à imposer des lignes de ruptures aux politique d’un pouvoir manœuvrier, elle tombe dans le piège de cloisonnement avec sa logique de conditionnement, agir et réagir aux réactions du l’exécutif.

La pression populaire intervient à point nommé pour changer de paradigme et pratiquer une opposition politique en dehors des structures habituelles avec  ses salons de réceptions. Désormais la parole est dans l’agora, portant le changement par le bas en érodant les structures de la clientèle traditionnelle du système. Cette nouvelle forme d’opposition menace les fiefs les plus reculés  du système tout en franchissant graduellement ses digues en direction du sommet. Le système risque l’implosion si la pression se perpétue dans la durée et accroit son intensité en mobilisant  de large segment de la société.

Le Duo ANP Présidence risque de se transformer en duel

Les incertitudes sur le devenir du couple, conjuguées  à la pression populaire, augurent  une crise sous-jacente qui ne tarde pas à devenir apparente. En effet, leur partenariat de raisonne ne cale pas à la conjoncture  imposée. Une présidence fragilisée,  ses relais politiques désorientés,  créent une nouvelle configuration. En position de force, l’armée peut annoncer le divorce par procuration et reporter ainsi les élections. Cette probabilité, plus plausible que probante, peut sauver l’armée d’une implication directe dans les affaires politique dont elle veut vendre, en priorité, une marque de loyauté et de neutralité. Autrefois, faiseur des Rois, aujourd’hui cantonnée, en apparence,  au rôle d’appoint, l’armée ne veut pas s’exposer comme force de recours plus  qu’une autorité institutionnelle et républicaine. Son chef, Gaid Salah, n’a de cesse de naviguer entre le devoir de réserve et le devoir d’expression, sans jamais prendre la  décision tant attendue : sauver l’Algérie et rentrer définitivement dans les casernes. Cette attitude ambivalente démontre  la non neutralité de l’institution militaire incrustée au cœur du réacteur. Le changement de position de l’ANP dépend du maintien et de l’intensité de la pression populaire. Sa hantise principale est de se trouver face au schéma confrontation  répression des aspirations de la jeunesse. Elle tend, autant qu’elle peut, éviter  ce scénario qui lui rappelle les précédents dont les plaies ne sont pas encore cicatrisées. Sa seconde obsession est d’empêcher le retour  sur la scène, via ses relais politiques, de l’ancien Etat profond, Etat DRS, et son chef fantomatique, Général Toufik. Les partisans de ce dernier redoublent d’activités autour du candidat issu de l’armée, Général GUEDIRI dont des sympathies très discrètes  sont révélées en catimini. L’armée tend à maintenir une posture centrale mais risque de payer le prix de sa caution à une institution présidentielle qui a pris une apparence très familiale.

Si l’Etat détient le pouvoir, le peuple détient la puissance.

La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur des hommes. Cette expression ne  peut s’appliquer au cas algérien, car les détenteurs du pouvoir Algérien ne disposent pas de doctrine comme mécanisme de défense. Ni libéral, ni social, encore moins démocratique mais plus une politique de bazar, le système est un fourre-tout, un conglomérat hétéroclite, d’apparatchiks, d’opportunistes, de prédateurs,  avec un prolongement d’une large clientèle jamais rassasiée.  Le maintien de la pression populaire volera en éclat ce saugrenu assemblement imposé plus par l’intérêt que par l’’idéologie. Les prochains jours nous révéleront les capacités de  résiliences d’un système en manque de ressources pour se  défendre. Acculé à une situation de survivance, Va-t-il, dans un élan salvateur,  recourir à la violence comme seule méthode dont il dispose ?

L’aspect pacifique des manifestations le contraint à agir de la sorte mais lui impose une prudence préventive contre tout dérapage ou manipulation dont seul il paiera les frais.  Face à un choix déterminant, le pouvoir agira au plus vite face à la montée en puissance de pression populaire : composer ou se décomposer.  Le facteur temps ne joue pas en sa faveur ; la montée de la pression populaire fragiliserait  l’édifice du système en affaiblissant son dispositif de défense et rouillera la mécanique de ses leviers. Se propageant aux larges segments de la société, elle imposerait une norme pour un changement d’un système paralytique en décalage total avec les aspirations réclamée par la population.

Conscient du danger de dérapage, il sait bien qu’il est le détenteur d’une solution de sortie de crise par une refonte totale et complète de l’Etat Algérien. Une phase transitoire durant laquelle les fondements d’un nouvel état de droit pourraient voir le jour en Algérie à travers une constituante qui fera asseoir les algériens, « sans exclusion ni marginalisation »,  autour d’un projet commun. Le vrai combat demeure celui des premiers résistants de la guerre de libération qu’il faut relancer, non pas sous sa forme utopique, mais d’une réalité possible à concrétiser par la fouge d’une jeunesse déterminée à prendre le flambeau.

Mohand TAMGOUT