En Algérie, une mobilisation populaire exceptionnelle

01/03/2019 – Nicolas Beau

Des dizaines de milliers d’Algériens s’apprêtent à manifester, ce vendredi 1er mars, pour refuser un « cinquième mandat » à leur président hospitalisé à Genève, Abdelaziz Bouteflika. 

Ce vendredi après la prière, le peuple algérien, encadré par 80000 policiers pour la seule ville d’Alger, manifestera en masse pour s’opposer au cinquième mandat du président Bouteflika, hospitalisé à Genève et qui parvient, selon des sources concordantes, à la toute fin de sa vie. L’idée surréaliste qu’un vieil homme épuisé, privé de parole et incapable de se déplacer, puisse prétendre être reconduit à la tète de l’Etat algérien, constitue l’aveu d’impuissance d’une clan présidentiel sans ressort ni imagination, animé par le désir frénétique de conserver le pouvoir.

En quête d’un plan B

Il faudra attendre le dimanche 3 mars prochain, date de clôture des candidatures pour l’élection présidentielle prévue le 18 avril, pour avoir le coeur net sur les intentions du Président sortant, ou du moins sur celles de son entourage. Mais l’hypothèse d’un retrait est désormais évoquée par ses plus chauds partisans, qui cherchent aujourd’hui un pan B pour rester aux commandes. Ou du moins, il s’agit pour eux de s’assurer une impunité judiciaire après avoir pillé le pays pendant vingt ans.

Le clan présidentiel, animé par le frère du chef de l’état, Said Bouteflika, n’a pas renoncé à utiliser tous les moyens possibles pour se maintenir en fonctions. Une conversation surprise puis diffusée sur les réseaux sociaux entre deux lieutenants des frères Boutefllika, le patron des patrons Haddad et le directeur de campagne Sellal, révèle la tentation de cette camarilla de recourir à la répression et à la violence.

Dans un entretien fort instructif au journal « Courrier International », Abdous Semmar, le patron du site Algérie Part devenu à Paris ces temps ci le porte parole officieux de la Présidence algérienne, lance un avertissement clair aux occidentaux, repris par le Premier ministre Ahmed Ouyahia jeudi dans la soirée. Ce qui serait à craindre en Algérie est un scénario à la syrienne, mais à une demie heure des côtes européennes avec le risque d’un afflux massif de réfugiés!

Abdou Semmar évoque également l’existence d’un scénario alternatif au cinquième mandat qui verrait surgir un candidat providentiel adoubé par le pouvoir actuel comme « vice président » ou comme candidat aux Présidentielles.

Une transition incertaine

Pour autant, personne n’est capable, après un règne sans partage et sans débat démocratique, de dessiner les contours de la transition à venir.L’opposition algérienne n’est pas au meilleur de sa forme. Elle est divisée entre des mouvements islamistes, largement instrumentalisés sous le rêgne de Bouteflika, une société civile sans grands relais, une mouvance kabyle en quête de véritable chef depuis la disparition d’Aït Ahmed et enfin quelques personnalités politiques respectables, mais sans ancrage véritable au sein d’une société algérienne atomisée.

Dans les discrets conciliabules qui se multiplient à Alger dans les coulisses, de multiples noms sont avancés, testés, puis oubliés. Autant de leurres souvent pour gagner du temps ou tromper l’adversaire. Les derniers « papabilés »en date auront été Said Bouhadja, l’ancien président FLN de l’Assemblée et Ramtane Lamamra, l’ancien et brillant ministre des Affaires Etrangères. Le premier bénéficie de certains appuis auprès de l’armée, un atout maitre en Algérie et le second dispose d’un capital de sympathie chez les français et chez les Américains- ce qui n’est pas forcément un atout en Algérie.

L’énigme Gaïd Salah

Dans les milieux de l’opposition, on imagine également la création possible d’un Haut Conseil qui regrouperait quelques personnalités incontestées, comme ce fut le cas pour l’instance créée en 1992 après l’interruption par les militaires du processus électoral et le renvoi du président Chadli. En matière d’inventivité institutionnelle, les Algériens ne craignent personne. Mais le pouvoir réel, depuis l’indépendance, appartient à l’institution militaire, « la colonne vertébrale » du régime, comme la qualifiait feu le président Houari Boumedienne.

Plus que jamais, l’armée algérienne est la grande muette et son patron, Gaïd Salah, une véritable énigme. On avait eu le sentiment, ces derniers mois, que le chef d’état major avait nettoyé l’appareil sécuritaire en poussant à la retraite des généraux majors très en vue, et cela afin de devenir l’arbitre ultime dans la succession d’Abdelaziz Bouteflika. Ses mauvaises relations avec le frère du président, Saïd, son refus tranchant de toute succession familiale et son aversion pour le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, étaient de notoriété publique. Des contacts ont été pris ces derniers mois par des émissaires du chef d’état major et les deux anciens Premiers ministres Ali Benflis et Mouloud Hamrouche.

Or à la grande surprise de son entourage et d’une partie de l’opposition, le même Gaïd Salah a affiché ces dernières semaines,, un soutien sans failles au cinquième mandat du chef de l’Etat. Comment ce haut gradé, en fonctions depuis 2004, peut-il ignorer que ce scénario aura été l’ultime trouvaille de Said Bouteflika et de ses amis pour maintenir leurs prérogatives?

Pire, depuis le début des grandes manifestations ,voici une semaine, Gaïd Salah, qui est rentré précipitamment des Emirats Arabes Unis, a mis en garde la population algérienne sur les risques de trouble. Là encore, le patron des armées a pu donner l’impression qu’il défendait un clan présidentiel en pleine décomposition.

Le peuple algérien sait désormais ce dont il ne veut plus, un cinquième mandat pour Bouteflika. La volonté populaire parviendra-t-elle pour autant à s’imposer lors d’un scrutin loyal le 18 avril? Bien téméraire celui qui pourrait l’affirmer en toute certitude.