Algérie, la lutte féroce pour une hypothétique vice-présidence

16/10/2018 – Nicolas Beau

Après l’arrestation, dimanche, de cinq généraux majors de l’armée algérienne, il semble que les désaccords politiques plus que la corruption expliquent la procédure inédite utilisée pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie contre autant de très hauts gradés.

L’arrestation de cinq généraux parmi les plus puissants du pays, dont trois chefs de région sur les sept que compte l’Algérie, a fait l’effet d’un véritable séisme. Aussi divisé soit-il, le sérail militaire avait l’habitude de régler ses querelles en famille, du moins dans ces conclaves très privés dont aucune fumée blanche ou noir n’indiquait les décisions ultimes. Au pire, quelques rafales de mitraillette clarifiaient utilement le débat.

La corruption, un alibi commode

Dans plusieurs sites supposés bine informés, on a pu lire au conditionnel  que des faits de corruption ont bien pu conduire à l’arrestation des gradés. Mais cette explication n’a pas convaincu grand monde, tant la corruption est endémique, aussi bien au sein d’une grande partie de l’armée, qui vit de la manne des contrats d’armement, que chez beaucoup de politiques et d’hommes d’affaires. Sans parler des hommes de la Présidence, le frère du chef de l’Etat, Said Bouteflika, en tète, qui ont fait du bakchich une arme de consolidation de leur pouvoir.

Ce qu’on sait en revanche qui pourrait expliquer ces arrestations, c’est que d’intenses conciliabules ont lieu en haut lieu pour régler l’hypothétique question du cinquième mandait du président actuel, Abdelaziz Bouteflika.

Personne dans un pays qui a sanctuarisé le chef de l’Etat ne veut mettre publiquement en question la possibilité pour le chef de l’Etat, aussi malade et affaibli soit-il, de se représenter. On a vu la nuée d’injures qui a accueilli les déclarations de l’ancien ambassadeur français à Alger et ex patron des services à Paris, Bernard Bajolet, qui a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas en Algérie. A savoir que le pouvoir algérien était « momifié » et que Bouteflika était maintenu en vie « artificiellement ». La présidence algérienne est intouchable.

Le leurre du cinquième mandat.

Il reste que si par une forme d’égarement, le président Bouteflika briguait un nouveau quinquennat, il n’aurait à peu près aucune chance d’aller jusqu’à son terme. Comment sortir de cette contradiction qui fait du cinquième mandat à la fois l’unique horizon politique  avouable et un leurre absolu?

Et bien, la classe dirigeante algérienne , à qui il faut reconnaitre une intense créativité institutionnelle, est en train de se convertir à l’idée de modifier la constitution et de créer « une vice présidence ». Il s’agit d’assurer la pérennité de l’Etat si un Bouteflika impotent est, une fois encore, désigné par l’élection présidentielle de 2019.

La course à la vice présidence

Seulement voila, la nomenklatura algérienne se déchire aujourd’hui pour savoir qui tiendra le chandelier au Palais de Zéralda, cette maison de cure médicale où réside le Président Bouteflika. Les prétendants sont déja nombreux, trop nombreux, à espérer ce poste de vice-président qui n’existe pas encore, de l’ancien ministre du pétrole et chouchou des Américians, Chakib Kellil, au Premier ministre Ahmed Ouyahia, l’homme de l’ancien DRS (services algériens) ou à l’ancien ministre des Affaires Etrangères détaché à lONU, le brillant Lamamra, par ailleurs discrètement soutenu par l’Elysée.

Du coup, certains à Alger défendent l’idée inédite de créer …deux vice-présidences, pour neutraliser les ambitions qui ont surgi.

On peut imaginer que les généraux majors qui ont été placés à la surprise générale en détention, alors qu’ils règnaient sur des régions militaires qui structurent le pays, avaient quelques idées sur la succession du président Bouteflika qui n’ont pas plus en haut lieu. Certains imaginent même qu’ils ont pu imaginer un scénario plus brutal pour sortir de la paralysie actuelle, comme celui qui a prévalu en 1992 lorsque le président Chadli avait été prié, un revolver sur la tempe, de quitter le pouvoir.

Le pouvoir algérien est plus que jamais une bouteille à l’encre dont le peuple a été définitivement exclu..