Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch cible de nombreuses critiques

14/11/2025 – La redaction de Mondafrique

Né le 16 août 1961 à Tafraout, dans les montagnes de l’Anti-Atlas, Aziz Akhannouch incarne aujourd’hui l’une des figures les plus puissantes — et les plus controversées — du Maroc contemporain. Fils d’un entrepreneur amazigh du Sud, il a gravi les échelons du monde des affaires avant de s’imposer au sommet de l’État.

Kader A. Abderrahim

À la tête du Rassemblement national des indépendants (RNI) et du gouvernement depuis 2021, il concentre autant d’attentes que de critiques. Derrière l’image policée du technocrate prospère, se dessine un dirigeant tiraillé entre sa fortune, sa légitimité politique et le rejet croissant d’une partie de la population.

Des origines enracinées dans le Sud

Issu d’une famille modeste devenue prospère grâce au commerce des hydrocarbures, Akhannouch grandit à Tafraout, région berbère reculée où la réussite passe souvent par l’exil économique. Son père, Ahmed Akhannouch, fonde dans les années 1950 la société Afriquia, spécialisée dans la distribution de carburants. Après des études en gestion à l’Université de Sherbrooke, au Canada, le jeune Aziz reprend les rênes du groupe familial, qu’il transforme en conglomérat diversifié : énergie, immobilier, télécommunications, médias et tourisme : « j’ai toujours eu l’esprit d’entreprise », déclarait-il à L’Économiste en 2016. « Mais je crois aussi en un Maroc où l’investissement doit servir l’intérêt collectif. », des propos que ses détracteurs jugent aujourd’hui bien éloignée de la réalité.

Le Premier ministre milliardaire

Avant d’entrer pleinement en politique, Akhannouch était déjà un poids lourd du monde économique. Selon Forbes, sa fortune personnelle dépasse les 2 milliards de dollars, faisant de lui l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Nord. Son empire, Akwa Group, contrôle notamment Afriquia Gaz, Maghreb Oxygène et de nombreuses participations dans les secteurs clés de l’économie. Cette réussite, longtemps perçue comme le symbole d’un Maroc moderne et entreprenant, devient toutefois un fardeau politique lorsqu’il accède à la primature. Le magazine TelQuel notait dès 2022 : « Akhannouch souffre d’un conflit d’image : celui d’un homme d’affaires appelé à réguler le marché dont il est lui-même un acteur majeur. » Une perception qui nourrit la méfiance populaire, exacerbée par la flambée des prix du carburant et des produits alimentaires.

De ministre à chef du gouvernement

Aziz Akhannouch entre en politique en 2007, nommé ministre de l’Agriculture et de la Pêche par le roi Mohammed VI. Il s’y forge une réputation de gestionnaire efficace, notamment grâce au Plan Maroc Vert, programme de modernisation du secteur agricole. En 2021, son parti, le Rassemblement National des Indépendants (RNI), remporte haut la main les législatives, reléguant le Parti de la justice et du développement (PJD) islamiste à la marge. Le roi lui confie alors la responsabilité de former un gouvernement promis à la stabilité et à la croissance. L’alliance qu’il bâtit avec le PAM (Parti authenticité et modernité) et l’Istiqlal lui donne une majorité confortable. Mais la lune de miel sera de courte durée.

Gouverner dans la tempête sociale

Très vite, les attentes se heurtent à la dure réalité économique. Inflation galopante, chômage des jeunes, services publics fragiles : la rue gronde. Les mouvements citoyens, amplifiés par les réseaux sociaux, désignent Akhannouch comme symbole d’un système déconnecté. Sur X (ex-Twitter), le mot-clic #Dégage_Akhannouch revient régulièrement dans les tendances marocaines. En 2024, le mouvement « GenZ 212 », composé principalement de jeunes diplômés au chômage, dénonce « un gouvernement des riches qui oublie les pauvres ». L’éditorialiste Abdallah Tourabi écrit dans Maroc Hebdo : « Aziz Akhannouch n’a pas su transformer sa réussite économique en leadership politique. Son gouvernement donne le sentiment de gérer un pays comme on gère un holding. »

Le spectre du conflit d’intérêts

Les critiques les plus virulentes portent sur la confusion persistante entre ses affaires et ses fonctions publiques. Malgré sa promesse de « se mettre en retrait » du groupe Akwa, aucune cession claire de parts n’a été rendue publique. Plusieurs observateurs pointent un manque de transparence. L’épisode le plus emblématique concerne le marché du dessalement de l’eau à Agadir, attribué à un consortium dont Afriquia est actionnaire indirect. L’hebdomadaire Courrier International rapporte que l’affaire a relancé « le débat sur la frontière floue entre État et intérêts privés ». En 2018 déjà, lors du boycott populaire des produits Afriquia, l’homme d’affaires avait découvert l’ampleur du fossé entre son image et la perception publique. « Le boycott a été un message politique autant qu’économique », commentait alors le politologue Mohamed Tozy.

Une communication verrouillée

Face à ces tensions, Akhannouch adopte une communication prudente, parfois jugée distante. Peu présent dans les médias indépendants, il privilégie les canaux institutionnels et les déclarations officielles. « Il est d’une grande courtoisie en privé, mais terriblement méfiant envers la presse », confiait un ancien collaborateur au Monde Afrique. Le Premier ministre s’appuie sur une équipe resserrée, composée de proches issus de son parti et de son cercle économique. Sa stratégie : afficher des résultats concrets — hausse du SMIC, généralisation de la protection sociale, investissements dans la santé — tout en limitant l’exposition médiatique. Mais pour beaucoup de Marocains, ces réformes restent théoriques. Dans les marchés, la hausse du coût de la vie continue d’alimenter la colère.

Le visage du Maroc en Afrique

Au-delà de la scène intérieure, Akhannouch joue un rôle important dans la diplomatie économique africaine du royaume. Ancien président du Forum Afrique Développement du groupe Attijariwafa Bank, il a défendu une vision d’un « Maroc ancré dans son continent », misant sur les énergies renouvelables, l’agro-industrie et les partenariats Sud-Sud. Lors d’un sommet à Abidjan en 2023, il affirmait : « Le Maroc ne vient pas en Afrique pour donner des leçons, mais pour construire ensemble. » Cette orientation est saluée par les milieux d’affaires, mais elle contraste avec les priorités sociales intérieures. Les investissements extérieurs du royaume, notamment dans les pays d’Afrique de l’Ouest, sont perçus par certains citoyens comme un luxe dans un pays où le pouvoir d’achat s’effrite.

Un Premier ministre sous pression

Depuis son arrivée à la primature, Aziz Akhannouch reste un dirigeant sous observation. Sa popularité, selon un sondage du Arab Barometer de 2025, est tombée sous la barre des 30 %. Les jeunes urbains et les classes moyennes expriment une défiance grandissante, tandis que la presse étrangère s’interroge sur « le paradoxe Akhannouch » : un homme riche qui peine à incarner la réussite collective. Ses partisans, eux, rappellent que la crise mondiale — inflation, sécheresse, tensions géopolitiques — limite les marges de manœuvre. « On ne peut pas juger Akhannouch comme un simple politicien, il est dans un contexte global », défend la ministre de l’Économie, Nadia Fettah Alaoui, dans une interview à Medi1 TV. Mais les critiques, elles, persistent. Le quotidien Al-Akhbar résumait récemment : « Le Maroc attendait un bâtisseur, il découvre un gestionnaire. »

Un héritage encore incertain

À 64 ans, Aziz Akhannouch semble conscient que sa réputation repose moins sur sa fortune que sur sa capacité à apaiser le malaise social. Dans une rare déclaration à TelQuel, il confiait en 2024 : « Je comprends la colère, mais je crois au travail de fond. » Reste à savoir si ce travail suffira à redonner confiance à un peuple désabusé. Le Premier ministre n’est pas un idéologue : c’est un pragmatique, un entrepreneur qui parle chiffres et rendement. Mais la politique, elle, réclame plus que de la gestion — elle exige du lien, de l’écoute, une vision. Pour l’heure, l’homme de Tafraout avance à contre-courant, entre admiration et rejet, entre Maroc des affaires et Maroc des rues.

Entre la réussite privée et la responsabilité publique, Aziz Akhannouch incarne le dilemme du Maroc actuel : comment concilier prospérité économique et justice sociale ?