« Algérie mon amour », une exposition sur l’art moderne algérien

18/03/2022 – La redaction de Mondafrique

Pour le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’institut du monde arabe de Paris a voulu marquer l’événement par une exposition d’envergure ayant pour thème « Algérie mon amour ». A partir du 17 mars, l’IMA focalisera ainsi le feu des projecteurs sur la richesse de l’art moderne et contemporain algérien. Le public pourra découvrir dix-huit artistes de trois générations différentes à travers une quarantaine d’œuvres sélectionnées parmi les 600 conservées par l’IMA et qui représentent la plus grande collection du monde occidentale dans le domaine.

Une chronique de Fabienne Touma

Choukri MESLI, À l’ombre des femmes. Les Protectrices, avril 1991. Technique mixte sur carton, 110x75cm Donation Claude et France Lemand / Musée de l’Institut du monde arabe

« Algérie mon amour » est l’expression de l’attachement à la terre et de la douleur du peuple algérien colonisé. L’exposition reflète la culture et l’identité algériennes, souvent niées et déracinées. Elle est aussi en quelque sorte le chant de la liberté et de l’espoir, du renouveau, de la créativité artistique et littéraire, et l’annonce d’une renaissance, nécessaire et tant attendue. “Algérie mon amour” est également l’expression de l’amour que tous les artistes vouent à l’Algérie, les artistes de l’intérieur et plus encore ceux de l’extérieur, tous ces créateurs de la diaspora qui peuvent dire, comme Abdallah Benanteur : “L’Algérie est en moi, seuls mes pieds l’ont quittée ; mon esprit rode en permanence parmi les miens.”

Cette exposition met à l’honneur une fraternité culturelle entre l’Algérie et la France, pays d’origine et pays de cœur de ces artistes dont les travaux sont dictés per cette fraternité culturelle. Tous les artistes dont les œuvres seront exposées appartiennent aux générations des années 1920 à 1980, donc ils sont forcément touchés par la guerre d’Algérie, l’Indépendance de l’Algérie de 1962 et par voie de conséquence par une quête d’identité. Un bagage historique qui influence la culture et le monde de l’art, et que l’on retrouve dans les œuvres présentées aux visiteurs.

Ce sont leurs racines algériennes que les artistes mettent en relief sans pour autant nier les influences françaises. En effet, ils sont tous venus en France à un moment spécifique de leur vie pour y poursuivre leurs études ou y travailler en tant qu’artiste. Tel est leur premier point commun.

Halida BOUGHRIET, Mémoire dans l’oubli, 2010

Un art d’après-guerre

Les productions des années 60 et 70 sont décisives dans le domaine de l’art en Algérie. Elles font de ce fait l’objet de plusieurs études et expositions. C’est un œil nouveau, adapté à l’époque moderne, qui est proposé tout en identifiant les fondamentaux. L’art commence à diversifier ses formes, ses techniques et ses sujets mais surtout à cibler une nouvelle population. L’art en tant que tel n’est plus suffisant ; la représentation de ce que l’artiste se contente de voir n’est plus suffisante, il faut aller plus loin pour que l’art devienne un moyen d’expression. Un collectif va marquer ce courant en tentant une réflexion commune sur cette nouvelle approche. Il s’agit du collectif Aouchem dont l’influence est manifeste chez nombre d’artistes de l’exposition « Algérie mon amour ».

A l’époque des années 1960, il était question de se dépasser soi-même pour s’orienter vers une expression artistique novatrice en explorant d’autres supports plastiques, notamment le tableau ou la gravure. C’est en 1967, à Alger, qu’une dizaine d’artistes d’univers plastiques différents (peintres, poètes, sculpteurs) fondent ce groupe Aouchem, qui veut dire tatouage. Un art qui permettait de faire un tableau mais sur la peau, sur le corps de l’être humain à travers essentiellement des motifs géométriques.

Abdelkader GUERMAZ, Composition, 1972.

Des signes et des motifs

Ce sont des notions d’identité et d’authenticité que revendique ce collectif, une personnalité propre à l’Algérie, plus juste et plus humaine. Ainsi, les membres du collectif utilisent beaucoup les signes et les motifs, comme c’est notamment le cas pour les artistes de cette exposition. D’ailleurs, Kamel Yahiaoui engage une réflexion sur l’emprise de ces signes sur la société contemporaine. Parmi les œuvres utilisant des signes, on note l’espace picturale de La mère de M’hamed Issiakhem, saturée de signes, de lignes brisées, ou aussi les signes et motifs de Mohamed Khadda dans Psalmodie pour un olivier et Sahel sous le vent. Ces signes sont souvent représentés par des lettres arabes, par la calligraphie, bien présentes chez Rachid Koraïchi qui impose son univers autour de lettres, de signes et de symboles, son travail étant le fruit de l’influence du collectif en question.

Les signes sont ainsi l’item d’un nouveau langage moderne comme nous pouvons le constater aussi chez Choukri Mesli dans ses travaux sur le thème des Ancêtres qui regroupe divers signes, tels que les spirales, triangles, losanges, cercles, croissants de lune, etc. Mahjoub Ben Bella relève aussi le mot totem qui ressort des recherches menées par le collectif Aouchem, qui marque cette période et qui sera sa principale inspiration dans son travail.

Il s’agit « à partir des grands thèmes formels du passé algérien, de rassembler tous les éléments plastiques inventés ici ou là par les civilisations écrasées hier, et aujourd’hui renaissantes », souligne le collectif dans son manifeste.

Rachid KORAICHI, Tu es mon amour depuis tant d’années, 1999-2000.

Un enseignement classique

Les artistes de l’exposition ont un autre point commun. Ils sont tous pratiquement issus d’une formation aux Beaux-Arts d’Alger, d’Oran ou même de Paris. Certains ont été enseignants, comme Choukri Mesli, pour la peinture, ou Denis Martinez, pour le dessin, tous deux aux Beaux-Arts d’Alger.

Ces artistes ont donc eu un enseignement classique, passant par les fondamentaux des arts (dessins, art plastique, sculpture, photo, art visuel, etc). Certains continuent de s’en inspirer en y appliquant des techniques telles que le sfumato avec Abdelkader Guermaz. Une technique essentiellement initiée par Leonard de Vinci. D’autres puisent dans l’histoire de l’art, comme Souhila Bel Baher ou encore Mahjoub Ben Bella qui font référence à Delacroix, peintre français du XIXe siècle représentant la peinture romantique.

Leur formation et éducation artistique est complète puisque ces artistes se forment aussi en architecture, en musique, en littérature, et en poésie. Des disciplines qu’ils représentent dans leurs œuvres. Baya peint à la gouache un tableau surnommé Musique, représentant des instruments à caractère orchestral de l’andalou, tel que le oud. Souhila Bel Bahar représente des formes féminines ondulantes assimilables à des notes de musique et proches de la calligraphie. Cette dernière est souvent une référence pour les artistes, notamment Mohamed Khadda qui se tourne vers une esthétisation de la calligraphie koufi dans son tableau Psalmodie pour un olivier, ou Abdallah Benanteur issu d’un apprentissage de la calligraphie arabe.

Des artistes modernes et contemporains

Tous ces artistes deviennent des fondateurs de l’art moderne, comme Abdelkader Guermaz, celui qu’on appelle l’ainé des fondateurs de la peinture algérienne moderne, ou encore M’hamed Issiakhnem. Se sont aussi de grandes figures d’une génération, notamment Choukri Mesli pour les années 30, mais aussi des piliers de la vie artistique de la jeune Algérie indépendante avec Denis Martinez notamment.

Débutant par un art figuratif pour certains, tous ces artistes se retrouvent et se rejoignent ensuite dans l’abstrait, travaillant sur des expressions ou émotions intérieures inspirées de mythes ou d’histoire algérienne parfois, avec des œuvres un peu floues, sans trait distinct, laissant place à l’interprétation subjective du spectateur. D’autres axent leurs travaux sur une représentation plutôt extérieure et physique en représentant le corps ou des portraits « le visage, sujet essentiel de la représentation du tragique de la condition humaine », selon les expressionnistes.

Le thème de la représentation de la femme revient souvent, notamment chez M’hamed Issiakhem, Baya, Choukri Mesli, Souhila Bel Bahar, Mohand Amara, Zoulikha Bouabdellah, Halida Boughriet, qui questionnent la place de la femme dans la société en relevant surtout sa forte personnalité. Ce sont des femmes qui veulent prendre une place de plus en plus importante dans la société.

M’hamed ISSIAKHEM, Mère courage, 1984.

Des matériaux et supports diversifiés

Les dix-huit artistes précités utilisent différentes techniques, matériaux et supports pour représenter ces thèmes. La grande majorité utilise l’huile sur toile (Louis Nallard, Abdelkader Guermaz, M’hamed Issiakhem, Mohamed Khadda, Abdallah Benanteur, Lahjoub Ben Bella, Abderrahman Ould Mohand, etc). Baya est la seule à utiliser la gouache, Denis Martinez et El Meya Benchikh El Fegoun de l’acrylique sur toile, Rachid Koraichi l’encre de chine et eau-forte sur papier et Mohand Amara de la terre cuite. Abderrahmane Ould Mohand et Zoulikha Bouabdellah présentent des dessins pour l’une de leurs œuvres, Kamel Yahiaoui une installation et sculpture, et finalement Halida Boughriet et Zoulikha Bouabdellah ont recours à un art plus numérique, la photographie et la vidéo en diptyque.

Quelle que soit la technique utilisée, l’utilisation de couleurs similaires est frappante, surtout le blanc, le noir, et l’ocre. Des couleurs sans doute dotées de sens. Le noir étant la grammaire plastique du peintre, selon Louis Nallard, le blanc un espace perforé de lumière à travailler, selon Abdelkader Guermaz, un blanc aussi synonyme de vide et de tristesse chez M’hamed Issiakhnem. L’ocre fait quant à lui référence aux terres rouges d’Afrique, slon Mohamed Khadda.

Une programmation riche

Cette exposition riche, autant dans le contenu et l’histoire que dans les techniques et supports, est accompagnée d’une programmation très variée qui immergera encore plus le public au cœur de cette Algérie. Cette programmation comprend notamment des visites guidées et des conférences qui débutent dès le 20 mars et qui permettent de situer la production de ces trois générations dans leurs contextes historique, social, économique et esthétique. L’IMA propose aussi d’assister à des tables rondes, des concerts- découvertes, des après-midis pédagogiques mais aussi de participer à des ateliers qui proposent une immersion dans l’atelier de l’artiste qui mêlera visite de l’exposition et création artistique. Finalement, le festival Arabofolies propose des concerts mais aussi une séance de cinéma, qui a déjà débuté depuis le 8 mars et qui se termine le 20 mars, donnant déjà un avant-goût de cette exposition qui promet d’être très enrichissante.

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