Best of 2018 (13/20), Sahara occidental, les enjeux du mandat de l’ONU

11/08/2018 – La redaction de Mondafrique

Dans une libre opinion envoyée à Mondafrique, l’universitaire algérien Raouf Farrah émet de sérieuses réserves sur la dernière résolution de l’ONU sur le Sahara Occidental

C’est dans une ambiance singulière que le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté fin avril 2018 la résolution 2414, prorogeant la Mission des Nations Unies pour le Sahara Occidental (MINURSO) jusqu’au 31 octobre 2018. Approuvée par 12 voix en faveur contre 3 abstentions, la résolution a été jugée par plusieurs États membres du Conseil (Suède, Éthiopie, Kazakhstan, Bolivie, Chine, Russie) comme « déséquilibrée » ou « ayant un parti pris ».

Le Sahara occidental est le dernier territoire non autonome en Afrique. Depuis le retrait de l’Espagne coloniale en 1975, le Maroc y occupe 80% des territoires que Rabat appelle « provinces du Sud » alors que la République arabe sahraouie démocratique (RASD), entité dirigée par le Front Polisario contrôle les territoires à l’est du Mur de sable – une tranchée de 2 700 kilomètres- qui sépare le Sahara occidental en deux parties[1]. En 1991, un armistice a été signé sous les auspices de l’ONU, menant à la création de la MINURSO dont le mandat principal est la surveillance du cessez-le-feu et l’organisation d’un referendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui.

Un discours onusien volontariste

À bien des égards, la résolution 2114 présente des caractéristiques singulières. Si le Conseil de sécurité a traditionnellement adopté des résolutions dont le mandat est limité à une année, la validité de la résolution 2114 a été volontairement réduite à six mois. Cet ajustement temporel indique l’intérêt des Nations Unies d’imposer une nouvelle cadence diplomatique sur le dossier sahraoui, marqué par la lassitude et le désistement de la communauté internationale. Ainsi, l’ONU estime qu’un tel mandat permettrait une gestion plus agile des orientations de la MINURSO.

Il est à rappeler que M. António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, a fait de la question du Sahara occidental une priorité de son mandat. Son dernier rapport (2018) fait état des préoccupations onusiennes concernant le non-respect du cessez-le-feu, les faibles rapprochements diplomatiques et les limites de la stratégie du statu quo. La nomination de Horst Köhler en 2017 comme Envoyé personnel et de Colin Stewart 2018 à la tête de la MINURSO témoignent d’une volonté de faire progresser « un dossier qui n’a que  trop duré », selon les propos du secrétaire général[2].

Mais même si M. Gueterres souhaite relancer activement les négociations politiques, et si les récents efforts diplomatiques entrepris par M. Köhler sont encourageants, tout indique que le Maroc et le Polisario resteront, du moins à court terme, campés dans des positions diplomatiques rigides. D’un côté, le discours officiel du royaume chérifien est sans concession quant au devenir du Sahara occidental puisque seule la solution d’autonomie des « provinces du Sud » est acceptable. Parallèlement, le Front Polisario réclame invariablement l’organisation d’un référendum d’autodétermination depuis plus de quarante ans, conformément au droit international et au mandat de la MINURSO.

Le « parti pris » de la résolution 2114

Loin d’avoir généré un consensus, le texte de la résolution 2114 a fait l’objet de tumultueuses négociations et de frustrations réelles. La version finale a été jugée favorable au Maroc par plusieurs experts et membres. Elle s’inscrit logiquement dans une démarche de contentement de Rabat, soutenue par ses alliés traditionnels : les États-Unis et la France. Lors de la séance de vote, l’Éthiopie a réitéré l’importance pour le Conseil de sécurité « de ne pas donner l’impression d’un parti pris » alors que la Chine a « regretté la précipitation dont a fait preuve la délégation qui rédige le document – les États-Unis (pen holder) -;  un empressement qui pourrait avoir une incidence négative sur les travaux du Conseil ». La Suède, quant à elle, a jugé important de « rechercher davantage l’unité, et parler d’une seule voix sur le dossier Sahraoui». Cette logique d’affinité avec le royaume chérifien nuit considérablement à toute possibilité d’une reprise des négociations. Elle ne positionne pas le Maroc et le Front Polisario sur le même piédestal, décrédibilise les Nations Unies comme médiateur impartial sur le dossier, et peut, à tout moment, raviver les fractures politiques et sécuritaires, aggravant davantage le gel diplomatique.

Les enjeux de Guerguerat et Bir Lahlou

Au-delà de la résolution 2114, deux autres éléments de taille peuvent davantage fragiliser la situation au Sahara occidental lors des prochains mois. Le premier enjeu demeure la zone tampon de Guerguerat. Cette localité sous administration onusienne, située à l’extrême sud-ouest du Sahara occidental et frontalière à la Mauritanie, connait une recrudescence de tension, et vit au rythme des intrusions illégales du Front Polisario et des Forces armées royales (FAR). En 2017, la MINURSO a comptabilisé cinq violations commises par les forces marocaines et sept par le Polisario autour de Guerguerat.

Ainsi, le Secrétaire général de l’ONU transmet régulièrement des notes au sujet de l’importance du respecter du cessez-le-feu et des accords connexes aux deux protagonistes. En janvier 2018, les tensions ont repris suite au passage du Rallye automobile Africa EcoRace par Guerguerat. L’ONU suggère alors d’envoyer une délégation d’experts onusiens afin d’enquêter sur ces tensions grandissantes. Cette offre est acceptée par le Polisario mais elle est rejetée par le Maroc.

La sécurité du dernier tronçon de la route RN1 – allant de Tanger à la frontière mauritanienne –, et particulièrement autour de Bir Gandouz El Argoub, Imlily jusqu’au poste marocain de Guerguerat – est un enjeu complémentaire. Les Nations Unies doivent aller au-delà d’un simple enregistrement des violations en enquêtant sur les causes structurelles des tensions récurrentes autour de la zone de Guerguerat. Si les résolutions sur le Sahara occidental sont dorénavant adoptées à tous les six mois, le Conseil de sécurité serait bien mieux informer sur les crises autour de Guerguerat.

Le deuxième élément est que la localité de Bir Lahlou devienne « capitale » du Sahara occidental. Dès mars 2018, le Front Polisario a émis le vœu de relocaliser certaines de ses structures administratives et opérationnelles à Bir Lahlou. Malgré le tollé suscité, cette annonce n’est pas une nouvelle donne. Le Polisario organise déjà plusieurs réunions de la direction du parti à Bir Lahlou. La visite hautement symbolique de Ban Ki Moon en 2016 – première fois dans l’histoire du Sahara occidental qu’un secrétaire général de l’ONU se rend dans les « territoires libérés »- avait été organisée à Bir Lahlou. Rappelons que la proclamation en 1976 de la République arabe sahraouie démocratique eût lieu à cette localité, et que Brahim Ghali, président de la RASD, n’a jamais caché son ambition d’en faire le lieu symbolique du pouvoir afin de formaliser un « État » à l’est du mur.

Mais pour Rabat, un tel geste politique serait lourd de conséquences. Le royaume chérifien a pris très au sérieux les déclarations du Front Polisario, et il est rapidement monté au créneau en mars dernier, en invoquant une violation délibérée de l’Accord militaire n°1 qui considérerait Bir Lahlou comme faisant partie de la zone tampon de l’Accord. À peine quelques semaines après, le porte-parole des Nations Unies Stéphane Dujarric a rappelé que les localités de Bir Lahlou et Tifariti ne font pas partie de la « zone tampon » qui sépare les deux parties du Sahara occidental-. En d’autres mots, rien n’interdirait légalement à la RASD d’installer ses bureaux à Bir Lahlou. Or, la résolution 2114 ne va pas dans ce sens. Le texte final indique que l’ONU « se dit préoccupé par le fait que le Front Polisario ait annoncé qu’il prévoyait de déplacer des fonctions administratives à Bir Lahlou et lui demande de s’abstenir de se livrer à de tels actes déstabilisateurs ».

En obtenant l’opposition du Conseil de sécurité au sujet de l’implantation du Front Polisario à l’est du mur de défense, le Maroc bloque, du moins temporairement, le transfert du siège de la RASD vers Bir Lahlou. Son implantation durable à l’est du Mur changerait le statut du Front Polisario en passant de groupe armé en exil en Algérie à un gouvernement de facto qui contrôle un territoire circonscrit. Cet état de fait mettrait un terme à l’argumentaire officiel marocain qui considère la question du Sahara occidental un « différend algéro-marocain ».

Il est à ce jour très difficile de prédire les prochaines actions du Polisario au sujet de Bir Lahlou. Néanmoins, tous les signaux politiques, sécuritaires et diplomatiques indiquent que la stratégie du statut quo est dorénavant caduque, et que le conflit au Sahara occidental entre dans une nouvelle phase, plus active mais plus risquée. C’est bien pour cela que c’est sous les auspices des Nations Unies qu’une solution juste et durable pour le Front Polisario et le Maroc doit se construire. Il en va de la stabilité du Sahara occidental et du Maghreb en général.

[1] Créé en 1973 pour lutter contre la domination coloniale espagnole, le Front Polisario, connu aussi sous le nom de Frelisario, est l’expression abrégée de la dénomination Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro (Front populaire de Libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro

[2] Le travail de négociation politique et de contact avec les parties au plus haut niveau est conduit par l’Envoyé personnel et la surveillance du cessez-le-feu est accomplie par la mission sur le terrain.