Macron-Sissi, les Rafales ont coulé les droits humains

28/01/2019 – Rabha Attaf

Reçu par le président Sissi au Caire ce 27 janvier 2019, le chef de l’Etat français feint d’ignorer un bilan catastrophique en matière de droits de l’homme pour mieux vendre les armements français.

La colère générale des ONG de défense des droits humains n’avait guère gâché la visite officielle du maréchal-président Al-Sissi à Paris en octobre 2017. Le président Macron avait en effet considéré que la question humanitaire n’était pas de son ressort. « De la même façon que je n’accepte qu’aucun autre dirigeant ne me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays (…) je n’en donne pas aux autres. », déclarait-il à l’issu d’un déjeuner de travail, tandis que le président Al-Sissi affichait la mine satisfaite d’un petit Pharaon reçu en grande pompe.

Deux ans plus tard, l’état d’esprit n’a pas vraiment changé, alors qu’Emmanuel Macron débute une visite d’Etat en Egypte ce 27 janvier, même si le Président français a admis devant des journalistes égyptiens que la situation des libertés en Egypte l’inquiétait ces derniers mois. Mais la priorité, selon lui, est donnée au « combat commun » contre le terrorisme et au « partenariat stratégique » de la France et de l’Égypte. Une ritournelle déjà chantonnée par le prédécesseur  Hollande, lors de son voyage officiel au Caire en avril 2016. Visite qui s’était soldée par la signature d’accords pour construire un satellite de télécommunications militaires, étendre le métro du Caire, et financer un parc éolien et une centrale solaire.

En juin 2016, la France avait livré à l’Égypte le premier de deux porte-hélicoptères de classe Mistral, faisant partie d’une série de contrats d’armement entre France et l’Égypte, qui comprenaient également l’achat d’une frégate de classe FREMM, de quatre corvettes de classe Gowind… et dejà de 24 avions de chasse Rafale !

Autant de contrats sur lesquels le fidèle ami du dictateur égyptien, Jean Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, avait veillé avec brio. Ministre aujourd’hui des Affaires Etrangères, il continue à favoriser la bonne entente entre les régimes français et égyptien avec une fidélité qu’il faut reconnaitre.

Les droits humains bafoués

Si les partis politiques français sont silencieux sur la féroce dictature égyptienne, les ONG restent heureusement vigilantes; « Ce président qui se veut l’infatigable avocat des libertés et des droits s’est fait celui d’Al-Sissi, malgré le désastreux bilan du président égyptien en matière de droits de l’homme », s’insurge l’ONG Human Rights Watch France. Et de dénoncer une « scandaleuse politique de tolérance » envers le régime face à la « pire crise des droits humains en Égypte depuis des décennies ».

Exit donc, les droits humains et tant pis pour les 60 000 détenus politiques, les milliers de disparus forcés, les 1964 condamnés à mort, les 16 journalistes embastillés, les médias en ligne bloqués, les ONG fermées et leurs dirigeants interdits de voyager, la torture systématique dénoncée devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier. Sans oublier la chasse aux gays -dont 65 viennent d’être condamnés pour débauche- dernière invention de l’arsenal répressif égyptien pour mâter la société civile entrée en résistance.

Sans oublier non plus qu’une loi adoptée en août dernier permet de surveiller les Egyptiens qui ont plus de 5000 abonnés sur les réseaux sociaux, de les bloquer en cas de « fausses nouvelles » et de les interpeller.

En décembre 2018, la vente de gilets jaunes a été interdite au Caire, c’est tout dire !

Des contrats juteux

Pas question pour l’Elysée de risquer de froisser la susceptibilité d’Al-Sissi qui permet d’engranger des milliards d’euros pour le complexe militaro-industriel français.

Depuis 2013, la France est devenu le premier fournisseur mondial de l’Égypte en matériels de guerre, de sécurité, de surveillance des populations, surpassant les États-Unis et allant même jusqu’à rafler dernièrement des contrats que l’Allemagne aurait refusés au vu de la gravité des violations de droits humains. La livraison, sous les projecteurs, des premiers Rafales et des corvettes Mistral en 2016 n’est que la partie spectaculairement visible d’un business qui se trame dans l’opacité et sans aucun contrôle parlementaire.

D’autres contrats sont en négociation. Des discussions avancées avec le Caire seraient en cours pour l’achat d’une douzaine de Rafales à Dassault, de deux corvettes Gowind à Naval Group et l’export de drones de surveillance pour -selon la version officielle- sécuriser des centrales solaires en construction dans le golfe de Suez.

La délégation accompagnant Macron ne laisse d’ailleurs aucun doute à ce sujet.Indépendamment des PDG de la SNCF ou d’Orange, les patrons de Naval Group, Dassault Aviations, Airbus Helicopters sont du voyage.

Et tant pis si l’économie égyptienne est au point mort, sous perfusion des finances venues de l’étranger. En avril, les Émirats arabes unis ont promis une aide de 4 milliards de dollars, s’ajoutant aux 20 milliards de dollars déjà accordés ou prêtés par d’autres membres du Conseil de coopération du Golfe, depuis l’éviction de l’ancien président Morsi en 2013.

En septembre 2017, le Fonds monétaire international a conclu un accord entre équipes d’experts avec l’Égypte sur un programme de prêts de 12 milliards de dollars destiné à accroître les recettes et à réduire les dépenses. L’accord obligerait l’Égypte à réduire les subventions, à imposer une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée et à faire flotter la livre égyptienne. Résultat : la monnaie égyptienne n’en finit pas de s’effondrer -1 euros vaut 21 livres actuellement- et les prix de l’énergie et des produits de première nécessité flambent, tandis que les coupes drastiques dans le budgets de la fonction publique mettent des milliers d’employés au chômage.

Une situation explosive qui devrait  pourtant inquiéter sérieusement Emmanuel Macron quant à la solvabilité du « partenaire » égyptien !

Même si l’Egypte est perçue par le président Macron comme une poule aux œufs d’or, il n’en demeure pas moins qu’elle est devenue un tombeau des droits humain depuis le coup d’état du maréchal Al-Sissi.

Encadré, l’explosion des ventes française à l’Egypte

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Rabha ATTAF

Grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient. Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.

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