Tunisie, Belhassen Trabelsi interpellé en France

17/03/2019 – Nicolas Beau

Les autorités tunisiennes ont lancé auprès des autorités françaises une demande d’extradition de Belhassen Trabelsi, beau frère de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali et grand argentier de son clan qu’on croyait au Canada.

Dans les années qui suivent l’accession au pouvoir de Ben Ali, les proches du pouvoir vont tous réaliser des affaires juteuses. Les clans familiaux se taillent de belles parts du gâteau de la corruption qu’ils se divisent entre eux. Dans un libelle qui circule en 1997-1998 sous le manteau à Tunis, il est question des « sept familles » qui pillent la Tunisie. Ce document fort bien informé décrit le fonctionnement des clans familiaux autour de Ben Ali qui se partagent entre amis les terrains, les contrats et les usines. Le frère ainé de Leila et chef du clan Trabelsi, Belhassen Trabelsi, qui vient d’être interpellé en France, n’a pas été le dernier à s’enrichir.

Dans les premières années du règne de l’ex président Ben Ali, qui n’épousera Leila Trabelsi qu’en 1992, le clan Trabelsi n’apparait pas encore. D’autres son à la manoeuvre comme les trois frères Eltaief, issus comme Ben Ali d’une famille originaire de Hammam Sousse. Fidèle bras droit de Ben Ali lors de la conquête du pouvoir, Kamel Eltaief, joue dès 1987, le rôle de « président bis » recevant chaque matin, dans les bureaux de la rue de Beyrouth au cœur de Tunis, les principaux ministres du gouvernement. Dans son sillage, ses deux frères font de belles affaires.

Moncef Ben Ali, trafiquant de drogue

La famille Ben Ali bénéficie également de quelques prébendes. Pas un frère, pas une sœur du nouveau président qui ne reçoivent une petite gâterie. Moncef, le frère préféré, se lance dans le trafic de drogue et laissera, dit-on, 4 millions de dinars de dettes auprès des banques. Kaïs Ben Ali, le fils du frère aîné, s’octroie le monopole des alcools à Sousse et fait main base sur le free-shop de Monastir.

Les trois filles issues du premier mariage de Ben Ali avec Naima Kefi ne sont pas oubliées. L’aînée, Dorsaf, épouse Slim Chiboub. L’avènement de son beau-père au palais de Carthage est pour lui pain bénit : fils d’un simple greffier, « Monsieur gendre » jouit d’un traitement de faveur dans l’attribution des terrains et des marchés. Ainsi bénéficie-t-il de gros marchés pharmaceutiques et de beaux terrains – qui lui seront repris plus tard. Slim Chiboub est connu pour ses appétits démesurés. Les patrons de la chaîne de grandes surfaces Auchan vont ainsi reculer devant ses exigences et renoncer à s’installer en Tunisie. En revanche, Slim Chiboub réussira en 2001 à installer un hypermarché Carrefour sur un terrain, sis à La Soukra, que les domaines de l’Etat lui ont rétrocédé à un prix symbolique. De 1989 à 2004, le gendre du président présidera également aux destinées de L’Esperance sportive de Tunis (EST).

Les Mabrouk bien servis

La dernière fille, Cyrine, épouse en 1996 Marouane Mabrouk. Lui hérite de la concession de Mercedes Tunis et elle prend la haute main sur le Net en Tunisie. Et Dieu sait si le secteur, totalement fliqué, est sensible ! Un centre du ministère de l’Intérieur à Salambo, dans la banlieue de Tunis, traque le moindre message non autorisé. Les Mabrouk se voient également attribuer le logement de fonction traditionnellement attribué au directeur de la sûreté nationale, une splendide villa du quartier chic du Belvédère. La troisième fille, Ghazoua, mariée à Slim Zarrouk, bénéficiera également de quelques faveurs, notamment à l’occasion de la privatisation de certaines entreprises publiques (comme la Société nationale d’élevage de poulets, acquise à bon compte à la fin des années 1990 par Slim Zarruk, puffs revendue au prix fort)…

Kamel Eltaief et Slim Chiboub s’opposent ainsi résolument aux projets d’union de Ben Ali avec Leila. Hélas pour eux, les noces ont lieu en 1992. Peu après, Kamel Eltaief a voulu braver la nouvelle présidente et faire de la circoncision de son fils un événement mondain – car Ben Ali et Leila n’avaient pas encore de progéniture male. Résultat, plusieurs hommes publics qui avaient commis l’erreur d’accepter cette invitation ont été immédiatement limogés : le ministre de la Sante, le directeur du Tourisme, le président de Tunis Air se retrouvèrent au chômage. Le règne de Leila au palais de Carthage débutait.

Depuis le départ de Ben Ali en 2011, l’ami Kamel, qui avait été marginalisé par le couple présidentiel, est revenu sur le devant de la scène politique et est devenu un puissant conseiller de l’ombre. On le découvre fort bien en cours auprès de l’actuel président tunisien, Beji Caïd Essebsi, dont il a largement favorisé la brillante carrière.

D’autres proches du président Ben Ali et de son épouse Leila, comme Belhassen Trabelsi, qui avait du prendre la fuite, sont loin d’avoir aussi bien réussi leur reconversion après le printemps arabe

Un boulevard pour les Trabelsi

Pendant les quatre années qui ont suivi le mariage en 1992 de Leila avec Ben Ali, le clan Trabelsi s’était fait relativement discret. A partir de 1996, leurs appétits se manifestent de manière plus ostensible et vont progressivement sonner le glas des ambitions des Eltaief, Mabrouk ou Chiboub. L’année du mariage de Ben Ali, le frère aîné et bien-aimé de Leila, Belhassen, met la main sur la compagnie d’aviation qui va devenir Karthago Airlines. C’est lui qui devient le pivot des affaires financières de la famille. Les câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks relatent que le frère aîné de l’ex First Lady « est réputé pour avoir été impliqué dans la corruption à grande ampleur, du remaniement de la Banque de Tunisie à l’expropriation de biens et l’extorsion de pots de vins ».

Belhassen Trabelsi n’était juste rien avant que sa sœur Leila n’épouse Zine el-Abidine Ben Ali en 1992. Comme beaucoup de
jeunes Tunisiens qui peinaient, dans les années 1980, à décrocher le baccalauréat, il est parti en Algérie pour y acquérir une formation à l’École nationale des ingénieurs du bâtiment à Alger. Puis, en 1986, il a créé sa petite entreprise avant de se lancer dans le business de clinker, un constituant du ciment. Mais ses affaires n’étaient guère brillantes. Tout changera pour lui miraculeusement quelques années plus tard lorsque Belhassen Trabelsi devient intouchable et … unanimement détesté.

Un jour, alors qu’il se la coulait douce sur son yacht à Hammamet celui que l’on surnomme parfois ironiquement « Monsieur frère » manifesta le désir de fumer ses cigares, qu’il fallait lui ramener de Tunis. Hamadi Touil, son associé et homme de paille depuis de longues années, fut dépêché mais
rentra sans le précieux tabac. Mal lui en prit ! Le malheureux fut rossé par Belhassen en personne. Mais on pourrait tout aussi bien évoquer
son sans-gêne et sa certitude que tout lui est dû, qui indisposent jusqu’à ses proches collaborateurs.

Le pillage du patrimoine

Belhassen s’entendant à merveille avec sa sœur Leila et n’étant pas le plus incapable de la fratrie Trabelsi, il en deviendra assez
naturellement le capitaine et, surtout, le bras financier. Objectif du clan : détrôner les Mabrouk et autres Chiboub qui, au début des années
1990, régnaient en maîtres sur Carthage et, dans une moindre mesure, sur les affaires. Leila, on l’a vu, parviendra progressivement à les
neutraliser. Avec Belhassen tapi dans l’ombre de sa sœur régente, les Trabelsi et leurs affidés seront fin prêts pour commettre un hold-up sur le pays.

La « Famille » jettera dans un premier temps son dévolu sur les terrains immobiliers classés au patrimoine historique tunisien. Foi
de Trabelsi, déclarés constructibles, ils le revendront à prix d’or ! Leur méthode est imparable, comme le dénoncent dans une lettre
anonyme publiée sur Internet en 2005 des cadres en colère du parti au pouvoir, le RCD. Ils y racontent dans le détail comment Belhassen Trabelsi et deux de ses compères, Hamadi Touil et Hakim Hmila, se sont approprié un vaste terrain agricole surplombant le port d’El Kantaoui, dans les
environs de Sousse – comprenant une grande partie de la forêt de Hammam Sousse -, pour y construire un luxueux complexe résidentiel, la
Baie des anges.

Toujours dans le registre foncier, les Trabelsi ont également profité de la signature providentielle du président Ben Ali pour
dépecer un autre bijou du patrimoine tunisien : le palais présidentiel de Skanès, à Monastir. Le bâtiment est chargé d’histoire. Au tout début
des années 1990, le roi du Maroc, Hassan II, lors d’un sommet maghrébin organisé à Tunis, avait voulu l’acquérir pour le mettre à la
disposition du président Bourguiba, destitué, afin qu’il finisse décemment sa vie. L’opération n’aboutit pas, ce qui n’empêcha guère Zine elAbidine d’en faire déclasser le parc qui connut un triste sort : il fut divisé en lots de 500 à 600 mètres carrés où des villas de haut standing
furent construites.

Gare à vos entreprises !

Si Belhassen Trabelsi et sa sœur se sont, dans un premier temps, spécialisés dans la captation de terrains appartenant à l’État, «Monsieur frère » s’intéresse aussi aux entreprises d’autrui.

Un pauvre promoteur d’une université privée a fait l’amère expérience des
procédés mafieux auxquels Belhassen est susceptible de recourir. Le pauvre homme « a eu le malheur de voyager en compagnie de
Belhassen sur un vol de Tunisair et a eu la saugrenue idée de solliciter l’intervention de ce dernier pour l’acquisition d’un terrain afin d’y
construire le bâtiment de l’université. Il sera rappelé quelques jours plus tard par l’AFH (Agence foncière d’Habitation) qui l’informe qu’un
terrain de quatre hectares lui a été octroyé, mais au nom de Belhassen Trabelsi ».

Nombreux sont ceux qui ont eu à pâtir des mauvaises manières de Belhassen Trabelsi. Que dire en effet des Maltais qui, en 1998,
s’étaient associés avec le frère de Leila Ben Ali pour le lancement de l’hôtel Khamsa à Raoued, dans la banlieue nord de Tunis ? Comme
l’avait à l’époque révélé le journal l’Audace cet établissement devait être financé à 47 % par un groupe de l’île de Malte moyennant la
gestion de cet hôtel pendant dix ans. Le reste se répartissant entre diverses banques et Belhassen Trabelsi. Or, celui-ci dénonça le contrat de
gestion, s’autodésignant au passage directeur général et faisant expulser manu militari le directeur nommé par les Maltais. Non content de
ce méfait, il s’arrangea de surcroît avec les banques pour devenir actionnaire majoritaire de Khamsa. Cerise sur le gâteau, pour pouvoir
construire « son » hôtel, Belhassen a obtenu plusieurs hectares des Domaines de l’État à un prix défiant toute concurrence.
Jamais à court d’idées pour remplir sa tirelire, il en a même transformé une partie en lots pour un second projet d’immobilier de luxe, la
«Résidence des côtes de Carthage ».

L’exil canadien

Sous le rêgne de Ben Ali, le verrouillage de la corruption sera total, car les Trabelsi ne sont pas partageurs… Pas un secteur qui ne leur échappe ; pas une transaction avec un groupe étranger dont ils ne sont parties prenantes ; pas un beau terrain, ou presque, sur lequel ils n’ont des vues. Et personne, dans le clan, n’est oublié !

Après la chute du régime, Belhassen Trabelsi s’était réfugié au Canada où une procédure, fort longue, avait été engagée contre lui. Les autorités canadiennes, confiait un diplomate en 2013, avaient « le plus grand mal » à établir une coopération satisfaisante avec l’administration tunisienne.

Apparemment, le frère ainé de Leila avait quitté l’Amérique du Nord pour se réfugier sous une fausse identité en Europe quelques part entre la France et la Suisse où il vient d’être interpellé par la police française.