Niger, le débat sur la coopération avec Paris escamoté

25/04/2022 – Nathalie Prevost

« Ce dont il aurait fallu discuter, c’est de l’accord sur la  recolisation de l’armée française , pour qu’on sache exactement ce qu’il renferme. Puisque cela n’est pas le cas, nous ne pouvons pas donner un blanc-seing au gouvernement. » Le député d’opposition Soumana Sanda a bien résumé les limites du débat qui était proposé le vendredi 22  avril à l’Assemblée nationale du Niger.

Trois paragraphes à la Déclaration de Politique générale du gouvernement, et le dossier ultra sensible de la coopération militaire avec la France était dans le sac. C’est peu. Les ajouts portant sur la sécurité et la quiétude sociale, prévoient que « l’évolution de la situation sécuritaire requiert un engagement commun des gouvernements de notre pays et d’autres nations pour une lutte efficace contre le terrorisme, dans le cadre d’accords de coopération bilatéraux ou multilatéraux, existants ou futurs. » Et le gouvernement de se féliciter de l’engagement très fort des pays européens aux côtés des pays africains.» Voici un message qui devrait satisfaire Paris. Zt après?

La ré-articulation du dispositif actuel s’effectue dans le cadre d’une action conjointe de la France, de l’Union africaine et de la CEDEAO. « Les forces spéciales des pays amis seront déployées et installées sur les territoires des pays membres de la CEDEAO affectés par les menaces, notamment le Bénin, le Ghana, le Niger et la Côte d’Ivoire. » 

Le Niger « quasiment encerclé » 

Au regard des attentes de l’opinion publique, le texte voté n’apporte rien qu’on ne sache déjà. Le président Bazoum avait ouvert la voie lors d’une conférence des cadres en février dernier, à l’occasion de laquelle il a largement décrit la situation militaire et sécuritaire du pays. L’exercice parlementaire de vendredi s’inscrit dans cette continuité.

Dans son exposé des motifs, le Premier ministre Mahamadou Ouhoumoudou a rappelé le contexte difficile du pays, qui affronte quatre foyers de tension sécuritaire aux quatre points cardinaux. « Notre pays est quasiment encerclé par les groupes armés terroristes. » Le lourd bilan de la guerre est connu : en 2021, on déplore plus de 800 victimes, en majorité civiles, 758 écoles fermées privant de scolarité 73 000 élèves, des producteurs agricoles privés d’accès à leurs champs dans les régions de Tillabéri, Tahoua et Diffa, des marchés inaccessibles et la création de groupes d’autodéfense qui risquent d’engendrer des conflits communautaires. Les derniers mois ont encore aggravé cette situation, avec l’arrivée de combattants irakiens et syriens, attestée au Mali, le départ de Barkhane et Takuba du Mali voisin, « avec le risque de créer un grand vide le long de notre frontière » et la crise politique au Mali et au Burkina Faso.

Pour les autorités nigériennes, très inquiètes de la situation à venir, surtout côté ouest, l’engagement de la communauté internationale à repenser son appui aux Etats du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest est une bonne nouvelle. « C’est pourquoi il y a lieu d’accueillir favorablement la décision de l’Union européenne de lever les restrictions qui pèsent sur l’achat des armes et équipements militaires sur les fonds d’aide de la communauté », estime l’auteur de l’exposé des motifs. Le Président Bazoum a d’ailleurs été filmé récemment en visite officielle en Turquie chez des fabricants de drones. Le Niger se dit « disposé à collaborer avec tous ceux qui veulent aider notre pays à éradiquer le terrorisme et le crime organisé, que ce soit par une contribution à la formation et à l’équipement de nos forces de défense et de sécurité, l’appui opérationnel et logistique, la collecte et le partage de renseignement ou même l’engagement opérationnel sur le terrain. »

Les erreurs du passé

Enfin, ultime précision d’importance : « Le déploiement éventuel des forces alliées se fera sur la base d’un partenariat qui tient compte des leçons apprises de part et d’autre et fera l’objet de discussions techniques avec la hiérarchie militaire tant sur les lieux des stationnements, les modalités d’opérations et les règles d’engagement. » Le Premier ministre a insisté, affirmant qu’il n’y avait « pour le moment, aucun accord » et que cet accord allait commencé à être discuté « maintenant », pour être finalisé « d’ici juin. » « Tirant les leçons de ce qui s’est passé et chez nous et chez eux, nous allons veiller à ne pas répéter les erreurs. Barkhane a compris qu’ils ne peuvent pas opérer seuls. Il faut que les opérations sur le terrain soient conjointes », a-t-il précisé.

Répondant aux très courtes interventions des députés, le Premier ministre a expliqué que le texte soumis à leur appréciation n’était en effet pas un texte de loi. « L’objectif c’est d’engager un débat sur cette question car nous avons constaté que le débat se fait ailleurs, sur les réseaux sociaux, dans les journaux par des individus non avertis et non mandatés. C’était cela l’idée, d’engager ce débat », de « lever clairement l’équivoque ».

Autre question âprement débattue, la nécessité ou non de soumettre à l’Assemblée les accords de défense. Si la Constitution du Niger le prévoit en effet, le Premier ministre a affirmé que le seul accord de défense en vigueur actuellement était celui signé avec le Nigéria. Les forces étrangères présentes au Niger ne le sont pas dans le cadre d’accords de défense, a-t-il dit, mais dans le cadre d’accords de coopération militaire, qui, eux, ne sont pas soumis à cette procédure. Dix accords de coopération militaire ont été signés avec la France depuis l’indépendance. « Aucun de ces accords n’a été soumis à ratification de l’Assemblée nationale par aucune des 6 Républiques », a-t-il dit. « Nous avons un accord avec le Portugal, l’Italie, la Norvège, le Danemark, l’Union européenne, la Belgique, l’Allemagne, la Russie, le Canada, la Chine, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Algérie, le Mali, la Mauritanie, le Nigéria, le Tchad et la Tunisie. » « Nous n’avons aucune intention de vous cacher quoi que ce soit. Il vous est loisible de demander à chacun des ministres concernés le contenu de ces accords », qui portent, a-t-il dit, sur la formation des forces spéciales, la construction de camps militaires, des équipements, la fourniture de renseignement, la lutte contre le terrorisme, le transit, la logistique.

Les « instructions » du Président Macron

A l’inverse, certains acteurs politiques et activistes de la société civile estiment que ces accords sont des accords de défense déguisés.

Le député Omar Tchiana, a, ainsi qualifié ce débat d’ « artefact de procédure pour faire croire que vous respectez nos lois », faisant suite aux « instructions du Président Emmanuel Macron qui, depuis Paris, a annoncé de manière péremptoire au peuple nigérien le redéploiement de Takuba au Niger ». « En venant aujourd’hui, vous reconnaissez de facto que la présence depuis toutes ces années des forces étrangères est illégale. En refusant de vous conformer à l’article 169 de la Constitution, vous cachez des choses. Que cachez-vous donc ? », a-t-il demandé avant de dénoncer une « recolonisation » du Niger.

Le Premier ministre a également répondu sur la stratégie militaire de son pays. Après les attaques de fin 2019 dans la zone des trois frontières, qui ont décimé deux postes militaires avancés, « le Président du Niger a compris que nos forces armées n’étaient pas préparées pour lutter contre le terrorisme. Elles n’étaient pas préparées parce qu’elles n’avaient pas l’expérience du combat. » A ce moment-là, il a été décidé de former les forces spéciales et de convaincre le Président français et ses alliés « de concentrer les efforts dans la zone des trois frontières ».

Il s’est dit satisfait de cette stratégie qui commence à produire des fruits, l’armée nigérienne étant, selon lui, devenue « l’une des meilleures armées de l’Afrique de l’Ouest. Elle inspire confiance, elle est respectueuse de la loi de la guerre, elle sait combattre. Les accords de coopération que nous avons signés avec les pays alliés ont été un facteur déterminant de nos succès dans la lutte contre le terrorisme », a-t-il ajouté. « Mais ça ne suffit pas. » La menace, a-t-il dit, est régionale désormais. « Ils ont envahi l’ensemble des parcs. Ce n’est pas seulement le Niger qui désire que les troupes étrangères lui viennent en appui. C’est l’ensemble des pays concernés : le Bénin, le Togo, le Ghana, qui savent qu’ils seront les prochaines cibles. » La stratégie du Niger consiste désormais à ne laisser « aucun pan du territoire à la disposition des terroristes » et pour cela, à organiser des patrouilles en permanence. L’autre clé de la guerre, c’est l’armement. « Les groupes armés disposent des moyens les plus sophistiqués. Ils ont des lance-roquettes, des RPG, des M80. Ils ont même des drones. Ils ont leurs moyens autonomes de communication. Pour être supérieurs à ces groupes, il nous faut des armes qu’ils n’ont pas, des avions de combat, des hélicoptères de combat et des drones de combat. Nous sommes en train de nous doter de ce matériel. »

Tera, trois morts toujours pas élucidées

Répondant au scepticisme de ceux qui se demandent pourquoi les moyens de surveillance aérienne des Français ne leur permettaient pas de repérer à temps les convois de motos des djihadistes en mouvement, il a expliqué que la stratégie des terroristes consistait à ne rester groupés qu’un très court laps de temps, le temps du combat, mais à se disperser avant et après pour échapper aux frappes aériennes. Il a aussi évoqué le droit de la guerre qui ne permet pas à ces forces « de pays démocratiques » d’intervenir dès qu’il y a des civils autour de la cible.

En ce qui concerne les 3 morts de Tera, tués en marge d’une manifestation autour d’un convoi logistique de Barkhane en novembre dernier, il a indiqué qu’une enquête était en cours et promis : « Vous aurez le bilan de cette enquête. » Le convoi avait d’abord été bloqué au Burkina Faso avant de poursuivre sa route au Niger où, à l’issue d’une nuit et une journée de blocage et de heurts entre les jeunes et les équipages des véhicules, l’armée française s’était dégagée par des tirs. Cet événement avait suscité une intense émotion au Niger et a été cité, d’ailleurs, par plusieurs débatteurs vendredi. Le Premier ministre, cependant, a laissé entendre que l’enquête s’attacherait à identifier les organisateurs de la manifestation, plutôt que les auteurs des tirs, probablement français. Mais il a affirmé que les blessés avaient été pris en charge et que les autorités nigériennes feraient « ce qu’il faut pour soulager les familles des victimes. »

Le débat de vendredi ne fera pas date dans l’histoire du Niger. Il ne satisfera sans doute pas le ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, qui avait déclaré à RFI vouloir ainsi clore le sujet. Avec la poussée de fièvre antifrançaise qui s’est emparée du Mali voisin et qui atteint progressivement beaucoup de jeunes d’Afrique de l’Ouest, les efforts de franchise et de transparence du Président Bazoum risquent de venir trop tard. Et trop peu. Il lui faudra sans doute continuer de convaincre, inlassablement, partager les informations, les bonnes et les mauvaises nouvelles, à l’inverse des habitudes de secret qui ont caractérisé la politique menée ces dix dernières années. Cette opacité systématique a contribué à une défiance généralisée vis-à-vis des autorités. Et le scandale retentissant des détournements de fonds dans les achats d’armement, il y a deux ans, n’a pas arrangé les choses. Mais la situation extrêmement préoccupante au Mali voisin ne laisse plus le choix aux autorités nigériennes. Si la zone des trois frontières s’effondre totalement sous les assauts de l’Etat islamique, ou si les agissements brutaux de l’armée malienne et de ses nouveaux alliés russes précipitent cette région dans le chaos, le Niger sera le prochain sur la liste.