Après les élections, le Mali est encore plus déchiré

20/08/2018 – La redaction de Mondafrique

Les résultats provisoires du deuxième tour de l’élection présidentielle du 12 août dernier ont été présentés par le Ministre chargé de l’administration du territoire dans l’indifférence générale.

Le sortant a été réélu par 67,17% des votants contre 32,83% à son adversaire. Les résultats attendus, étaient connus d’avance tant l’écart entre le président sortant 41,42% et son challenger 17,8% était important, voire impossible à combler. Ce dernier n’a pas réussi non plus, à rassembler les autres concurrents dans un vote anti IBK, la plupart d’entre eux, surtout ceux qui avaient obtenu le plus de voix, n’ayant donné aucune consigne de vote. Dans ces conditions, difficile de remporter la mise.

Les deux adversaires, présents sur la scène politique malienne depuis près de 26 ans et ayant occupé de nombreux postes au sein de l’appareil d’Etat malien, étaient largement connus des électeurs. Ils ne soulevaient guère d’enthousiasme, d’où la chute attendue du taux de participation de 43,06 à 34,54%.

Le perdant, Soumaïla Cissé, candidat de l’URD, avait déjà rejeté à l’avance les résultats des élections et dénoncé la fraude, l’achat des votes et le bourrage d’urnes notamment dans les régions nord du pays, sous contrôle des groupes armés. Cependant, les différents observateurs internationaux, régionaux et locaux, ont proclamé leur satisfaction générale, en dehors de quelques irrégularités procédurales. Le président français et le secrétaire général des Nations Unies ont été parmi les premiers à féliciter le président sortant pour sa réélection, suivis par des chefs d’Etat africains, sans attendre la proclamation définitive des résultats par la cour constitutionnelle du Mali. Apparemment, la messe est dite. Les parrains extérieurs du Mali sifflent ainsi la fin de la partie. Leur prise de position sans équivoque en faveur du sortant, ressemble fort à une mise en garde sévère à l’endroit des contestateurs tentés par un troisième tour dans la rue.

Cependant, le perdant de l’entend pas de cette oreille. Continuant à rejeter les résultats, il avait, dans un premier temps, appelé les populations à la révolte, avant d’adoucir ses propos. Néanmoins, il persiste à se proclamer vainqueur des élections et compte même se faire investir prochainement président de la république par ses partisans.

Les arguments de fraude massive péremptoirement affirmés par son camp sont mis en doute par beaucoup d’observateurs. Les vidéos présentées en guise de preuve de bourrage d’urnes, sont difficilement authentifiables. Les scores de 100% de votants pour IBK, ont eu lieu dans 21 bureaux de vote, tous situés dans la partie nord du pays. Deux procès-verbaux signés à l’avance, ont été également découverts dans un bureau de vote.

Mais en fait, les irrégularités signalées ont essentiellement eu lieu dans des régions à faible densité d’électeurs, ce qui n’est pas de nature, aux yeux de bon nombre d’observateurs, de changer la tendance générale en faveur du président sortant.

Cependant, le perdant refuse toujours de reconnaitre sa défaite. Ce samedi il a tenté une marche de protestation qui ne semble pas avoir mobilisé grand monde. Les gens ont la tête ailleurs, dans les préparatifs de la fête de Tabaski, attendue mardi prochain.

En examinant attentivement les résultats, il parait plus que vraisemblable que l’échec du candidat Soumaïla Cissé vient bien plus d’autres causes que de la fraude massive qu’il dénonce à cor et à cri.

Les partis politiques maliens dans leur ensemble ont peu de militants. Ils n’existent que pendant les périodes électorales et rentrent, peu après, en hibernation. Ils n’ont que des électeurs qu’ils s’efforcent tous d’acheter lors des élections. Lors des campagnes, des sommes colossales sans aucune traçabilité, sont distribuées. Aucun plafonnement ni aucune origine n’est exigé par la loi.

Par ailleurs, le chef de file de l’opposition n’a su, à aucun moment, exercé un leadership conséquent lors des élections. Les candidats qui ont récolté un score intéressant, ont préféré s’abstenir de se prononcer. Le candidat, Aliou Diallo, venu en troisième position, avec 8,03% des suffrages exprimés, opérateur minier de son état, a préféré ménager ses arrières. Son mentor religieux, marabout de Nioro, est aussi un homme d’affaires qui a bénéficié des largesses des pouvoirs successifs qui fermèrent les yeux au cordon douanier et fiscal sur ses juteux trafics transfrontaliers. Le calcul est vite fait. On risque gros en étant dans l’opposition au pouvoir en Afrique. Dans ces conditions, il ne sera guère étonnant de voir des alliances de raison se renouer avec le vainqueur. Pour le quatrième challenger, Cheick Modibo Diarra, 7,39%, difficile d’appeler à voter pour l’opposition. Il s’est fait copieusement insulté par un membre du directoire de campagne de Soumaïla Cissé en la personne de Ras Bath. Le cinquième Amion Guindo, ancien allié et ancien ministre d’IBK, a rejoint le bercail comme attendu. Dans ces conditions, il était peu probable que le challenger ait de réelles chances de l’emporter.

Nonobstant, ce qui reste le marqueur essentiel de cette élection, c’est le faible taux de participation. Il faut noter que le chiffre de huit millions d’électeurs est loin de couvrir la totalité des citoyens en âge de voter. Selon certaines estimations, au moins trois millions d’électeurs supplémentaires sur dix-huit millions d’habitants, ne figurent pas sur les listes électorales. En faisant le rapport du nombre de votes obtenus par chacun des candidats à ces chiffres, leur manque de légitimité saute aux yeux.

En définitive, le Mali sort de ces élections encore plus déchiré et émietté. Le président élu, a beaucoup perdu en légitimité, à un moment où les défis sont devenus plus nombreux et plus complexes. Il lui aura été plus facile de gagner les élections que de continuer gérer le pays pendant les cinq années à venir. Il ne pourra plus continuer à gouverner comme auparavant, au risque de se trouver face à des révoltes populaires qui finiront à avoir raison de son pouvoir, comme ATT, à deux mois, à peine de la fin de son mandat. Aura-t-il l’intelligence et le courage politiques de sacrifier les branches pourries de son régime ? Des intérêts colossaux sont en jeu, à commencer par ceux de sa famille et des proches. Les prochains mois à venir ne tarderont pas à nous donner une indication claire…